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caricatures du véritable génie national allemand. L’unique conclusion à en tirer est que, de plus en plus, les âmes allemandes ont perdu l’habitude de ce « goût » européen qui jamais, au reste, n’avait réussi à s’acclimater en elles bien profondément, mais dont la présence séculaire à leur surface n’en avait pas moins servi, d’âge en âge, à contenir l’expansion d’instincts naturels de l’espèce de ceux dont je parlais tout à l’heure. Sous l’influence d’un orgueil à la fois trop brusque et trop démesuré, l’Allemagne a cru pouvoir s’affranchir de la contrainte d’un goût étranger, après l’avoir, de tout temps, supportée avec peine ; de là ces monstrueuses fantaisies architecturales, dont l’inspiration se retrouverait pareillement, j’en ai l’idée, au point de départ de maintes œuvres nouvelles de musiciens allemands, — telles que les « colossales » constructions symphoniques d’un Mahler. Et cependant, n’importe : trop heureuses encore ont de quoi nous apparaître l’architecture et la musique allemandes, qui du moins, avec leur manque de goût, continuaient de vivre ! Tandis que, dans les autres arts, toute vie s’en était allée, en même temps que toute tradition de goût ; et l’on ne saurait imaginer un néant plus complet que celui que nous faisaient voir notamment, depuis nombre d’années, la sculpture, la peinture, et les autres arts plastiques d’outre-Rhin.


C’est ainsi que, pour m’en tenir à la peinture, je mettrais volontiers au défi le lecteur français de citer un seul nom de peintre allemand d’aujourd’hui dont les œuvres l’aient frappé, dans une de ces expositions internationales où a vraiment défilé devant nous tout l’art contemporain de l’Europe et du monde. Pendant plus de vingt ans, à l’issue de la grande crise de 1870, les jeunes hommes qui faisaient en Allemagne profession de peindre ont essayé d’abord de constituer des écoles nationales, et puis, plus humblement, d’imiter nos dernières écoles françaises. Hélas ! c’était comme si un mauvais sort leur eût paralysé les yeux et les mains ! Chaque année, les visiteurs des Salons de Munich étaient témoins de la rapidité de plus en plus grande avec laquelle s’écroulaient ces belles ambitions des peintres allemands ; et sans doute il n’y avait pas jusqu’aux compatriotes de ces infortunés qui n’eussent fini par renoncer à rien attendre d’eux, car le fait est que, de plus en plus, l’on a vu toute leur attention se tourner ardemment vers des maîtres et des œuvres de pays étrangers.

Ceux d’entre eux qui se croyaient forcés de demeurer fidèles au génie « germanique » s’adressaient, pour satisfaire leur goût, à des peintres suisses. Ils avaient adopté d’une manière quasi officielle le