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spécial de la Providence, à la race des Bach et des Haendel, des Mozart, des Beethoven, et des Richard Wagner ! Que l’on se rappelle ce que signifiait encore pour nous l’Allemagne, au point de vue musical, il y a un quart de siècle, lorsque les yeux et les oreilles du monde entier se tournaient pieusement vers la vénérable colline de Bayreuth ! Le jeune empire allemand a connu là un second triomphe à peine moins glorieux que celui qui venait de lui échoir sur nos champs de bataille français. Qui de nous, à ce moment, n’a pas éprouvé la tentation de confondre l’image symbolique de ce nouvel empire tout rayonnant de vigueur et d’espoirs avec les traits vénérés du vieux maître, — du « vieux sorcier, » — saxon, infatigable d’ailleurs à nous suggérer une confusion qu’il estimait éminemment flatteuse pour lui, en se proclamant le fidèle écho du cœur et de l’esprit de ses compatriotes ? Avec quelle sécurité mêlée d’impatience nous attendions de ceux-ci la poursuite de l’admirable « révolution » inaugurée au milieu d’eux, et même expressément à leur seul usage, par le poète des Maîtres chanteurs et de Parsifal ! Et puis les années ont passé, et vainement nous avons continué de tendre nos oreilles du côté d’outre-Rhin. Et que si quelques-uns d’entre nous ont poussé la curiosité jusqu’à vouloir s’enquérir directement, sur les lieux, de la manière dont s’était poursuivie, dans la patrie de Wagner, la révolution wagnérienne, ah ! quelle pitoyable série de déboires leur a été infligée ! Je n’oublierai certainement jamais, pour mon compte, la demi-douzaine de drames soi-disant « lyriques » dont il m’a ainsi fallu subir l’inanité prétentieuse et bruyante. Il est vrai que, vers le même temps, les plus savans et les mieux doués de nos musiciens français étaient en train d’épuiser leur talent, sans le moindre profit, à s’efforcer de transplanter dans notre vie artistique française un idéal et des procédés beaucoup trop essentiellement germaniques pour pouvoir s’accommoder de cette « émigration : » mais, pour stérile qu’ait été, je le crains, l’œuvre de nos compositeurs « wagnériens » d’hier, combien elle m’a paru supérieure, en agrément musical et jusqu’en « wagnérisme, » aux informes machines que produisaient à la même date, sur les scènes royales de Munich et de Dresde, d’authentiques descendans du poète-cordonnier Hans Sachs !

Dira-t-on que cette impuissance trop avérée de la musique allemande, au lendemain de la mort de Wagner, n’a été qu’un phénomène tout provisoire, résultant de l’espèce d’ombre mortelle que projetait autour de soi l’énorme génie du maître défunt ? Le fait est qu’il y a eu en Allemagne, depuis quelques années, des signes