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morales que révèle le développement parallèle ou conjoint de la littérature alsacienne et de la littérature française depuis le premier Moyen Âge jusqu’au xvie siècle.

Du caractère alsacien je retiens ces traits communs avec le caractère français : un vif sentiment de l’honneur allant jusqu’à la susceptibilité la plus chatouilleuse, un esprit de dignité et d’indépendance personnelle en contraste absolu avec la servitude ou la platitude allemande, une bravoure chevaleresque étroitement unie au sentiment de l’honneur et de la justice, le culte de la bonne foi, l’horreur de la duplicité, de la fausseté, un esprit plaisant, gouailleur, narquois, ironique sans méchanceté, le witz alsacien, moins agile, moins ailé que l’esprit français, mais plus incisif peut-être. Plus de rudesse et moins de vanité que dans le tempérament français, plus de persévérance et de ténacité, mais, sous des dehors parfois placides, une nature également ardente, une disposition aussi grande au moins qu’en France à se dévouer pour une idée, pour les idées surtout de justice et de liberté. Qu’on se souvienne de la devise que j’ai citée de Sébastien Brandt : Vivat, floreat, crescat, pax, libertas atque justicia ! — Ce qui accentue les affinités françaises que je viens de dire, ce sont les antipathies allemandes. Si l’Alsacien a des défauts communs avec l’Allemand, tels que la rudesse, des qualités communes telles que l’amour du travail, l’esprit d’ordre et de méthode, il lui a toujours reproché son étroitesse et sa morgue, son manque de tact et sa lourdeur. De tous les Allemands les mieux connus, étaient naturellement les Souabes, non seulement comme les plus voisins, mais parce que, au dire déjà de Sébastien Munster, ils affluaient volontiers en Alsace. Or, pour l’Alsacien, le Schwob est la bête noire, — littéralement puisqu’il appelle schwob les insectes que nous nommons cafards, — et il désigne le souabe lui-même par un sobriquet qui est tout un portrait ; le sobriquet de gêlféssler, pied jaune : l’homme qui piétine des œufs pour les empiler dans une charrette.

Il faudrait maintenant, je le répète, retracer dans son amplitude l’influence que la France a eue au Moyen Âge sur la littérature alsacienne, et décrire le terrain singulièrement propice où cette influence s’est exercée. Le meilleur historien contemporain de l’Alsace, M. Rodolphe Reuss, l’a signalée en excellens termes :