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plus de ces gens-là, chez nous, maintenant ; on va s’en débarrasser à coups de balai. »

Et il a craché un gros crachat dégoûtant sur ma robe. Je suis devenue toute rouge et j’ai eu tant envie de pleurer que je me suis sauvée, chez nous, sans mon pétrole. Et, pendant que maman me consolait, voilà qu’on a sonné. C’était un monsieur allemand qui, à ce moment-là, était encore ami de papa. Il a dit que ça ne valait pas la peine de pleurer pour ce qu’on m’avait fait. Il a raconté :

« — Moi, je viens de voir, dans les rues, des jeunes filles russes, bien habillées, des Juives, avec de belles boucles noires, et les femmes s’étaient jetées sur elles et leur arrachaient les cheveux et les battaient avec un bâton parce qu’elles sont Russes…

« Et il a ajouté :

« — Laissez faire. Elles sont comme ça maintenant (les Allemandes) : parce que leurs « Michel » sont encore ici ; mais quand leurs « Michel » vont partir, alors elles pleureront et ça les calmera… »

Longtemps encore, nous pourrions continuer à feuilleter les cahiers de nos écoliers. Terminons par ces souvenirs d’une petite Mulhousienne de vieille souche française :

« Ce fut le 8 août 1914 que les Français entrèrent pour la première fois à Mulhouse, musique en tête. Tout le monde était dans la rue pour voir passer les Français et les acclamer. Malheureusement, nous qui demeurions au bout de la ville, nous n’avons pu les voir. Ils étaient tous très contens d’être à Mulhouse ; ils nous promettaient d’y rester toujours… Mais, dès le lendemain, les Allemands revinrent. Ceux des Mulhousiens qui n’avaient pas été voir les Français avaient eu raison, car, pendant que les Alsaciens acclamaient les Français, des policiers allemands, costumés en civils, avaient inscrit, sur une liste, tous ceux qui avaient crié : « Vive la France ! » et ils ont fait arrêter toutes les personnes qui étaient sur la liste… Cette nuit-là, vers dix heures, ma mère vint me réveiller, car le canon tonnait horriblement et nous courûmes dans la cave. Ce fut terrible. On entendait les shrapnells et on aurait cru que c’étaient les projectiles qui criaient en tuant les gens, car leur sifflement était comme de grandes plaintes de femmes et d’enfans… Le lendemain, on apprit que la canonnade avait été