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indigestion !… » Les prisonniers blessés sont soignés, à Pau, à l’hôpital du Sacré-Cœur. Au début, nous le savons, en France comme en Russie, comme en Serbie, ils se sont montrés soupçonneux. Les contes que leur avaient faits leurs officiers leur trottaient par la tête. Nombre d’entre eux refusaient de prendre des médicamens, de crainte que ce ne fût du poison ; quelques-uns tremblaient qu’on ne voulût les fusiller :

« Mais, après avoir eu très peur, ils ont fini par se rendre compte qu’ils étaient bien traités. Alors, ils ne savaient comment remercier les Sœurs et les infirmières ; certains étaient obséquieux, et c’étaient ceux qui, au début, avaient été les plus arrogans. Un major blessé a été si content des soins qu’il a reçus, qu’en partant il a offert au médecin-chef son épée, qu’on l’avait autorisé à garder :

« — Prenez-là, lui a-t-il dit, en souvenir de moi… »

A Poitiers, un garçonnet a entendu citer ce trait assez touchant :

« Il y a près de chez nous un monsieur qui a son fils prisonnier, en Allemagne, et il y a ici un prisonnier qui a son papa en Allemagne, et le papa allemand a écrit au papa français que s’il voulait bien prendre soin de son fils, lui, pour la peine, prendrait soin du sien, qui est dans la ville. Les deux papas se sont entendus, et ils s’écrivent, pour se donner des nouvelles de leur fils, et ils sont moins tristes… »

Contrairement à ce que l’on aurait pu supposer, les enfans de Paris et de sa banlieue sont peut-être ceux qui ont le moins à nous raconter, parce que ce sont ceux qui ont le moins vu… L’apparition des Zeppelins, une nuit, en mars ; jusqu’ici, c’est tout. Dans une lettre à sa famille, une fillette, élevée à la maison de la Légion d’honneur de Saint-Denis, nous fait assister à l’une des répétitions auxquelles on la soumit, ainsi que ses compagnes, pour le cas où un dirigeable allemand survolerait la ville :

« On nous indiqua à chacune dans quelle cave nous devrions aller, quel chemin il nous faudrait prendre et en combien de temps il nous faudrait arriver… Les bleues, les rouges, les vertes, enfin toutes les élèves, savaient ce qu’elles devaient faire. L’autre jour, on sonne l’alarme. Chacune de nous se met à courir. Moi, je traverse les couloirs qu’on m’avait dit et voilà que je me trouve dans une salle dont la porte, qui était