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« Et comme nous leur disions « oui, » ils répondaient :

« — Eh bien ! nous aimer l’Allemagne… »

« Ils ne voulaient pas, » se rappelle un garçonnet, « qu’on les appelle Prussiens ou Boches, ça les rendait furieux, on aurait été fusillé. Ils disaient à maman :

« — Vous, c’est appeler nous : Allemands ou soldats, comme nous, c’est appeler vous, madame !

« Ils nous répétaient :

« — Fous êtes Allemands, pu Français ; fous serez toujours Allemands et pu chamais Français…

« Et, quand nous mangions leur affreux pain noir qu’ils nous donnaient, car il y avait longtemps que nous n’en avions plus, ils disaient :

« — Fous, manger du pain allemand ! Fous, Allemands pour toujours !

« … Ils nous accusaient de téléphoner avec Verdun et ils nous disaient qu’ils nous emmèneraient prisonniers en Allemagne et ça nous faisait peur… Le 8 novembre, nous étions couchés ; ils nous ont fait lever pour nous conduire à la maison d’école ; nous y avons resté deux nuits et un jour, sans rien…, J’avais bien faim…, ils avaient pris nos lits, nos matelas ; et nous, il fallait coucher sur le carreau…

« Vers la fin de novembre, continue l’enfant, il en est venu qui ont resté trois mois et demi ; ils n’étaient pas si méchans que ceux du commencement. Et puis, remarque-t-il, il fallait bien s’habituer avec eux… Malgré qu’on n’en avait guère envie, ils nous ont pourtant fait rire plus d’une fois… Ils avaient pillé le village comme ils faisaient partout et ils s’habillaient l’un en marié, l’autre en mariée, et ils se promenaient en dansant, en chantant comme une noce et les autres suivaient, déguisés avec des tapis de table ou des manteaux et des chapeaux de dames… »

A peine maîtres d’une région, les Allemands l’organisent, se posent en propriétaires définitifs :

« Ils nous faisaient l’école une heure par jour. Ils nous apprenaient l’allemand ; ils nous apprenaient à compter et comment on dit le père, la mère, et les animaux : le cheval, le chien et les jours de la semaine, les mois, et à demander du pain et du vin… Le jour de Noël, ils ont voulu que les enfans et les jeunes filles vont à l’église. Là, ils ont donné des poupées