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village… Pendant des mois, on a été sans personne pour s’occuper de nous[1]… » Leur douce voix gazouillante rappelle le deuil affreux.

Ah ! quand les Allemands n’auraient fait que cela : emplir d’épouvante l’âme de nos enfans, ils mériteraient d’être les maudits !

Tant d’épreuves ont mûri ces enfans ; leur raison est au-dessus de leur âge. Une institutrice me vante leur bonne volonté, leur politesse, leur application :

— Si vous saviez quel désir ils ont de s’instruire, de réparer le temps perdu… quel bel appétit de science !

Peu de jours après son arrivée à C…, un garçonnet se présente à l’école voisine de l’hôtel où il est hébergé. C’est un petit bonhomme bien planté, la mine délurée, intelligente. Il aborde la directrice :

— Madame, est-ce que vous voulez de moi ?

— Impossible ; tu es trop grand.

— J’ai huit ans seulement, madame.

— Je ne dis pas non ; mais je ne peux pas te prendre. Ici, c’est une école de filles ; on n’admet les garçons que jusqu’à cinq ans, à la classe enfantine.

Le mioche s’en va l’oreille basse, les yeux emplis d’ombre. Cette école qui lui est fermée, quel paradis elle lui semble ! Le lendemain nouvelle tentative de sa part :

— Madame, je sais bien que j’ai huit ans ; mais si vous voulez me permettre d’entrer tout de même, je me mettrai dans un petit coin ; vous ne vous apercevrez pas que je suis là.

Le moyen de résister à tant d’insistance gentille ?

— Ecoute, petit : aujourd’hui, je ne puis te recevoir tel que tu es ; ta veste et ton pantalon sont déchirés. Dis à ta mère qu’elle te mette un tablier propre et reviens demain…

Vingt-quatre heures passent. La cloche de l’école sonne. La porte s’ouvre. Le gamin est au premier rang ; il se précipite, de ses deux mains, il étend son sarrau, le montre :

— Madame ! madame ! Vous voulez bien de moi, maintenant ?…

On l’accepte, et comme c’est un bon petit, il veut que les autres enfans, hébergés à son hôtel, jouissent du bonheur que

  1. Ces trois petites ont été placées à l’Œuvre des Orphelins de la guerre.