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que papa est parti… On va lire les « communiqués » pour avoir plus tôt les nouvelles. » « Moi, continue une fillette qui doit être une exquise petite, je travaille à mon jardin. J’y ai planté des fleurs qui sont des œillets. J’aime les œillets parce qu’ils sentent très bon. J’y ai mis aussi des anémones parce qu’il y en a de jolies couleurs bleues, blanches, rouges et que ce sont les couleurs de la France. Je les arrose soir et matin et, lorsque les fleurs auront poussé, je les couperai ; j’en ferai de jolis bouquets que j’apporterai à la maîtresse pour mettre devant la statue de saint Joseph, afin qu’il protège nos soldats… Le soir, après le repas, grand-papa nous lit le journal et il nous raconte la guerre de 1870 qu’il a faite. Puis, avant de se coucher, on prie pour les blessés, pour les morts, pour les combattans et pour la paix :

« — Dieu fasse qu’on la voie, bientôt, soupire maman en déshabillant ma petite sœur, et grand’maman répond :

« — Quand on l’avait, on ne connaissait pas son bonheur ! »

Avec une jolie tendresse, l’enfant conclut : « Les années d’avant, quand je regagnais mon lit, j’étais très heureuse de me blottir sous mes couvertures ; mais, maintenant, je pense à nos pauvres pioupious qui, pour nous défendre, couchent dehors, dans la boue et dans l’eau et je ne me trouve plus si bien, dans mon lit et je voudrais leur envoyer de sa bonne chaleur… »

A ceux et surtout à celles qui attendent, les nouvelles des combattans arrivent moins fréquentes qu’on ne le désirerait : « Maman est souciante, — considérez, je vous prie l’âge de la mignonne : onze ans, — et languit, car il y a douze jours que nous n’avons pas reçu de lettre de mon frère… Elle pousse de gros soupirs. On lui voit souvent les larmes aux yeux. Elle dit :

« — Est-il blessé ? .. Est-il prisonnier ? .. Et s’ilvétait mort ? .. Oh ! non. » Tous les matins, elle attend le facteur. Elle se dresse sur la pointe des pieds pour l’apercevoir s’il débouche au coin de la rue… Ce matin, le facteur, devinant son impatience, lui fait voir la lettre de loin, bien haut au-dessus de sa tête. Elle s’empresse de déchirer le haut de l’enveloppe et lit des yeux. Elle est si contente, — prétend la petite dont l’imagination excessive, un peu, décèle l’origine méridionale, — que ses cheveux blancs semblent se rajeunir. Elle baise la lettre, la rebaise, en disant :