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Madame courant à l’étourdie « comme un hanneton. » Elle lui demande de l’accompagner à Prague ; il en est consterné. Et il écrit à Mme Récamier : « Rien ne m’a plus coûté dans ma vie que ce dernier sacrifice, si ce n’est celui de ma démission à Rome. » D’ailleurs, nouveau contretemps. A Padoue, le gouverneur du royaume lombard-vénitien s’oppose à ce que la duchesse de Berry continue son voyage ; Chateaubriand doit prendre seul le chemin de Prague. Il déjeune à Conegliano, passe à Udine qu’il déclare une belle ville et où il remarque « un portique imité du palais des Doges. » C’est peu, pour la curieuse place qui est l’une des plus jolies d’Italie. Le 21 septembre, il s’engage sur la route d’Autriche et jette un dernier regard à la Vénétie : d’une église où l’on fête l’ordination d’un prêtre, lui arrive le branle des cloches sonnant dans un campanile illuminé.


Au printemps de 1845, Chateaubriand, voulant revoir son roi, se décida à entreprendre un sixième voyage d’Italie. Il partit pour Venise, au désespoir de ses amis qui redoutaient les fatigues de ce déplacement. Il les supporta assez bien. Il resta quelques jours auprès du comte de Chambord qui le retint un peu plus longtemps qu’il ne voulait. Il écrivit à Mme Récamier, ou plutôt il dicta pour elle une lettre : « J’allais partir ; les embrassemens et les prières du jeune prince me retiennent. Mes jours sont à lui, et quand il ne me demande qu’un sacrifice de vingt-quatre heures, où sont mes droits pour le refuser ? »

Une fois encore, il se promena dans Venise. Il chercha et ne trouva plus, sur un palais du Grand Canal, l’inscription qui rappelait que lord Byron l’avait habité. « L’écriteau a déjà disparu, et il n’est pas plus question du grand voyageur insulaire que d’un pauvre pêcheur des lagunes… »

C’est sur cette dernière impression que se clôt le dernier voyage. Nulle ne pouvait être plus révélatrice de celui qui avait surtout aimé l’Italie en songeant à sa propre gloire. Les affections de Chateaubriand étaient rarement désintéressées. Au centre de tous ses tableaux, il n’y a jamais que lui ; et je doute qu’il ait beaucoup goûté la nature pour elle-même. Toujours il eut la préoccupation d’associer son nom aux plus beaux spectacles de la terre, aux illustres souvenirs de l’histoire et de l’art.