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trois dragons, en veste et en bonnet de police, faisaient boire leurs chevaux ; nous entrions dans les États de Marie-Louise : c’est tout ce qui restait de la puissance de l’homme qui fendit les rochers du Simplon, planta ses drapeaux sur les capitales de l’Europe, releva l’Italie prosternée depuis tant de siècles. Bouleversez donc le monde, occupez de votre nom les quatre parties de la terre, sortez des mers de l’Europe ; élancez-vous jusqu’au ciel, et allez tomber pour mourir à l’extrémité des flots de l’Atlantique : vous n’aurez pas fermé les yeux, qu’un voyageur passera le Pô et verra ce que nous avons vu. »

A Vérone, Chateaubriand descendit à la Casa Lorenzi où il avait, nous dit-il, la moitié d’un palais pour quatre mille francs par mois. Il connaissait la ville, rapidement parcourue en 1806 ; et, cette fois, il fut trop absorbé par les problèmes de la politique européenne pour s’occuper d’autre chose. Parmi les monumens qu’il visite, il mentionne seulement celui de Can Grande, le casino Gazola qui avait servi de retraite à Louis XVIII, et le palais Canossa, occupé alors par l’empereur de Russie, l’un des plus beaux de Vérone : derrière sa façade sévère, je me souviens d’une cour à pilastres d’où l’on aperçoit le paysage par-delà l’Adige, et, dans un salon, le magnifique plafond où Tiepolo trouva une jeunesse nouvelle pour se mesurer à Véronèse, dans la patrie même de son illustre devancier.

Près des Arènes, il remarque une femme éplorée ; elle lui rappelle un livret de Marsollier, sur lequel Paesiello avait composé un opéra célèbre qu’il eut peut-être l’occasion de voir jouer à Vérone, où « des chanteurs et des comédiens étaient accourus pour amuser d’autres acteurs, les rois. » Chateaubriand s’intéressa à cette nouvelle Nina. « Descendue des montagnes que baigne le lac célèbre par un vers de Virgile et par les noms de Catulle et de Lesbie, une Tyrolienne, assise sous les arcades des Arènes, attirait les yeux. Comme Nina, pazza per amore, cette jolie créature, aux jupons courts, aux mules mignonnes, abandonnée du chasseur de Monte-Baldo, était si passionnée qu’elle ne voulait rien que son amour ; elle passait les nuits à attendre, et veillait jusqu’au chant du coq : sa parole était triste, parce qu’elle avait traversé sa douleur. »

Voilà tout ce que je trouve à glaner dans les longs chapitres du Congrès de Vérone qui furent détachés des Mémoires d’outre-tombe et publiés séparément. Le 5 novembre, il écrit à la duchesse