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gradation insensible de couleurs, s’unissent par leurs extrémités, sans qu’on puisse déterminer le point où une nuance finit et où l’autre commence. Vous avez sans doute admiré dans les paysages de Claude Lorrain cette lumière qui semble idéale et plus belle que nature ? Eh bien, c’est la lumière de Rome ! » Il est naturel que cette luminosité frappe et séduise surtout nos regards habitués aux gris d’argent et aux bleus délicats de notre ciel. Aussi ne suis-je point surpris, contrairement à Chateaubriand, que ce soient des yeux français qui aient le mieux vu la lumière d’Italie.

Ce premier séjour à Rome fut coupé par deux voyages. En septembre, Chateaubriand se rendit jusqu’à Florence, au-devant de Mme de Beaumont. Il revint avec elle par l’Ombrie ; mais, seule, sa malade l’occupait. « Je ne voyais plus le beau pays que nous traversions ; j’avais pris le chemin de Pérouse : que m’importait l’Italie ? J’en trouvais encore le climat trop rude, et si le vent soufflait un peu, les brises me semblaient des tempêtes. » Il ne parle même pas d’Assise, le pays de son « indigent patron, » comme il aime à appeler saint François. À propos des célèbres cascades de Terni, il ne se rappelle que les mots qui s’échappèrent des lèvres déjà décolorées de sa compagne : « Il faut laisser tomber les flots. » Après la mort de Pauline, pour chasser le souvenir qui l’obsédait, il alla passer une dizaine de jours à Naples. Les notes qui figurent dans le Voyage en Italie devaient servir à la rédaction de lettres qui ne furent pas écrites ; quelques-unes furent utilisées dans les tableaux des Martyrs. Les sites de Naples ne l’enchantèrent qu’à demi. « Lorsque le soleil enflammé, ou que la lune large et rougie, s’élève au-dessus du Vésuve, comme un globe lancé par le volcan, la baie de Naples avec ses rivages bordés d’orangers, les montagnes de la Pouille, l’île de Caprée, la côte du Pausilippe, Baïes, Misène, Cumes, l’Averne, les champs Elysées, et toute cette terre virgilienne, présentent un spectacle magique ; mais il n’a pas selon moi le grandiose de la campagne romaine. » Le Celte est un peu dépaysé à Naples où, d’ailleurs, il ne retourna jamais. Pendant les quelques jours qu’il y resta, il ne cessa d’évoquer la France, et même l’Amérique, dans des rapprochemens au moins inattendus. Sa mémoire, dit-il quelque part, est un panorama : « Là, viennent se peindre sur la même toile les sites et les cieux les plus divers avec leur soleil brûlant ou