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êtes-vous ? » — Le 37e, et vous ? » — « Le 60e. » — « Ah ! le 60e : Bravo, voilà des bons ! Voilà des vrais « poilus ! » Le 60e, laissez passer le 60e ! Faites place, c’est des « poteaux ! » C’est une véritable ovation que nous font ces braves gens avec lesquels nous travaillâmes maintes fois et qui apprécièrent notre aide ! Cette reconnaissance de la part de camarades de combat, s’exprimant en termes rudes, militaires, est très émouvante et nous touche profondément ; nous aussi, nous les félicitons, car ils le méritent, et ils nous font tant plaisir !… On sent que des troupes comme celles-là, s’estimant mutuellement parce qu’elles ont pu apprécier leur valeur dans l’action, ont une grande cohésion qui les rend redoutables. On trouvera peut-être que je suis toujours en admiration devant mon 20e corps, mais c’est qu’il n’était composé que d’élémens très bons, en qui les voisins pouvaient mettre toute leur confiance : sa force morale était donc considérable.

Même cantonnement que la veille. Je profite de ma soirée pour apprendre les mots flamands indispensables pour nous ; mon professeur, une petite Belge de 12 ans, met beaucoup de complaisance à m’instruire ; d’ailleurs, qui connaît l’allemand, comprend le flamand. Je m’étais promis d’apprendre cette langue durant mon séjour en Belgique pour rapporter de ce pays un souvenir durable… J’en ai bien rapporté un, mais moins utile.

Lundi 9. Au matin, le groupe attend que la route soit dégagée pour se rendre à sa nouvelle position ; des réfugiés, très nombreux, passent devant nous, se hâtant vers l’arrière ; ils fuient Ypres, en flammes, que les Allemands bombardent depuis la veille. Un pauvre vieux, tremblant d’indignation, nous apprend ce nouveau méfait des Allemands : « La plus belle ville de Flandre, messieurs ! Il n’en reste plus que des ruines ! » Hélas ! nous n’en sommes plus à nous étonner de rien : « À ajouter sur la note à payer, » pensons-nous, et nous jetons un œil attendri à nos petits canons qui allongent leur fine silhouette dans le brouillard…

Comme hier, ainsi que le reste du corps d’armée, nous sommes en réserve, mais, cette fois-ci, à 2 kilomètres au Sud d’Ypres. Les Allemands attaquent furieusement sur l’Yser ; nous ne sommes pas en forces, mais la position est bonne, ils ne passeront pas. Cependant, le pays nous produit mauvaise