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étude de M. A. Albert-Petit : Comment l’Alsace est devenue française[1].

Mais, avouons-le, les miracles ne sont guère du ressort de l’histoire ; c’est la réalité objective qui est son domaine, et voyez alors comme celle-ci s’éclaire par l’étude que je viens de citer. N’est-il pas évident que plus la France s’est abstenue d’une action directe, d’une pression énergique sur les esprits ou les consciences, les volontés et les mœurs, plus la francisation apparaît comme le produit des forces internes de la nature alsacienne, comme l’épanouissement et la fructification d’instincts communs aux deux pays, dont cette nature recelait, de temps immémorial, les germes dans son sein ? Ne fallait-il pas, en d’autres termes, que, d’inéluctable nécessité, l’âme alsacienne se trouvât en harmonie préétablie avec notre génie national ?


I

Représentez-vous, tels qu’ils ont été énumérés ici, un à un, relevés avec grand soin et d’une façon rigoureuse et précise, les procédés et les ménagemens dont la France a noblement usé à l’égard de l’Alsace récupérée : institution d’une justice bienfaisante, respect de l’autonomie locale, respect de la liberté religieuse et de la liberté d’enseignement, de même que des mœurs, des habitudes, de la langue allemande, dispense enfin du service militaire. Tous ces bienfaits n’étaient-ils pas autant d’obstacles à la francisation ? M. A. Albert-Petit l’a constaté : « Ce n’est, dit-il, ni la bureaucratie, ni l’école, ni la caserne qui ont fait la conquête morale et intellectuelle de l’Alsace. » Mais alors, à quelles causes attribuer cette conquête ?

La première qui se présente à l’esprit, c’est la prospérité matérielle que la France a introduite et fait régner, le développement auquel elle a présidé de l’agriculture, de l’industrie, de la viabilité, et qu’atteste un prodigieux accroissement de population. Ce que vaut cette raison, l’expérience de l’Alsace annexée par la Prusse en porte témoignage. L’Empire allemand a fait les plus grands efforts, souvent couronnés de succès, pour atteindre le même but, dans l’espoir de germaniser par là

  1. Revue des Deux Mondes, 1er mai 1915.