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lamentable et présentaient à l’ennemi un point de repère grâce auquel il réglait son tir d’autant plus facilement qu’il l’observait du haut d’une cheminée de briqueterie. Aussi, les postes de nos officiers furent-ils copieusement arrosés. Le même jour fut tué le capitaine C… Les capitaines G… et V… reçurent des éclats, le premier à l’épaule, le second, dans son képi, au ras du front. Deux jours auparavant, une de nos meules avait été incendiée et, en pleine vue, les téléphonistes replièrent leur poste et allèrent s’installer au nouvel observatoire, sous une pluie de mitraille. Le commandant, émerveillé de leur courage, les récompensa par des galons ; ils ne les avaient pas volés, car leur fonction était vraiment des plus dangereuses, et il serait difficile de dire combien de fois ils ont dû installer, réparer ou relever leur ligne sous un feu terrible ; n’ayant la plupart du temps rien mangé de toute la journée, parce que leur porter la soupe les eût immédiatement fait repérer ; abrités tant bien que mal dans de petites tranchées qu’ils ne pouvaient préparer qu’avant le jour, sous peine d’être vus. Ils n’avaient pas un instant de repos, continuellement attentifs à transmettre, sans fautes, les ordres des officiers.

Ils donnèrent une nouvelle preuve de leur courage, le jour où fut touché notre pauvre capitaine C…, en le transportant de l’observatoire à la batterie, sur l’échelle recouverte de leurs manteaux et de leurs couvertures, en pleine vue. Les artilleurs allemands avaient bien remarqué ce groupe de quatre hommes transportant au pas un brancard, et se doutaient de ce dont il s’agissait ; ils le prouvèrent bien, les sauvages, en tirant sur ces braves gens quatre salves de 130 fusans, les plus mauvais de leurs obus ! Par miracle, personne ne fut atteint, et le capitaine arriva à ses chères pièces sans nouvelle blessure. Celles qu’il avait reçues étaient malheureusement mortelles : le poignet droit était sectionné et ne tenait plus au bras que par un lambeau de peau ; un éclat avait perforé les intestins et déterminé une hémorragie très violente. Sans une plainte, il commença par donner ordre à l’adjudant-chef de le remplacer à son poste avec ses téléphonistes qu’il remercia ; puis, appelant le plus ancien sous-officier présent, il lui remit l’argent de sa batterie et tous les papiers qu’il signa de la main gauche, sans oublier une recommandation. Les servans s’étaient rapprochés, les larmes aux yeux ; il leur dit, d’une voix déjà lointaine, combien