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de principes a priori[1]. Au lieu de procéder par généralisation de faits observés, on part de conceptions abstraites auxquelles on veut plier l’être vivant. Les Allemands aiment à regarder Gœthe comme un des fondateurs du transformisme ; il est très exact que, dans son ouvrage sur les Métamorphoses des plantes, Goethe considère tous les organes d’une plante comme provenant de la métamorphose d’un seul d’entre eux, la feuille ; de même en zoologie, il créa la théorie vertébrale du crâne, d’après laquelle la boîte crânienne est la continuation de la colonne vertébrale et est composée de vertèbres ayant subi certaines modifications. Il parle même de l’action du milieu. Mais les mots ne doivent pas faire illusion. Il y a une différence profonde entre les conceptions de Gœthe et celles de Lamarck. Pour Gœthe, tout ne se réduit pas à l’adaptation au milieu. On peut conclure de plusieurs passages de ses œuvres qu’il se rattachait à la doctrine connue aujourd’hui sous le nom de préformation, d’après laquelle les transformations dérivent d’une force interne, dirigeant les modifications dans un sens déterminé à l’avance. Quelque intéressantes que puissent être les vues de Gœthe, elles n’ont en réalité qu’un rapport verbal avec la doctrine lamarckienne des transformations directement provoquées par les actions réciproques entre les êtres vivans et le milieu. Aucune science ne prête, comme la biologie, à l’introduction de substances ou de forces uniquement créées pour donner l’illusion d’une explication, sans qu’une confirmation expérimentale soit possible. Avec son amour des solutions formelles, la science allemande a ainsi édifié certaines doctrines plus philosophiques que biologiques, que des critiques sévères tendent chaque jour à ruiner.

Stendhal écrivait, il y a longtemps, au sujet des Allemands : « Moins ils ont à dire, plus ils étalent leur grand magasin de principes logiques et métaphysiques. La vérité n’est pas pour eux ce qui est, mais ce qui, d’après leur système, doit être. » Cette phrase peut s’appliquer à maints livres scientifiques allemands, où la pauvreté des résultats est masquée par un insupportable verbiage philosophique.

Nous avons indiqué combien la thèse de la Critique de la

  1. Dans une thèse soutenue en 1913, M. René Lote a étudié « les Origines Mystiques de la Science allemande, » particulièrement en chimie et dans les sciences naturelles (Paris, librairie Alcan).