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caoutchouc ; sont le produit exclusif des pays tropicaux. Le pétrole ne se trouve ni en France, ni en Angleterre, ni en Allemagne. Prenons pour exemple le coton, à cause de l’importance de son rôle militaire et parce qu’on a quelques données, plus ou moins exactes, sur le chiffre de sa consommation.

Les poudres de guerre sans fumée, en usage maintenant dans les canons et fusils, ont pour principal élément constitutif le coton nitrifié par une macération dans un bain d’acides. À ce titre, le coton est bien une contrebande conditionnelle. Il est utilisé indubitablement dans la vie civile ; mais il n’y est pas aussi journellement indispensable que le pain ou la viande. Les filatures peuvent être arrêtées, surtout quand la guerre n’est prévue que pour une courte durée. Les Allemands auraient renoncé à renouveler toute leur lingerie, et même à la blanchir, plutôt que de s’exposer à manquer de poudre. Le coton devient alors contrebande de guerre absolue.

L’Allemagne aborda la guerre avec un énorme matériel d’artillerie approvisionné d’un fort contingent de munitions confectionnées, sans s’être préoccupée d’avoir à beaucoup fabriquer de munitions nouvelles. Son stock total de coton, le 1er août 1914, a été estimé à deux cent mille tonnes au maximum. Sa consommation de coton journalière, en cartouches de fusil et gargousses de tout calibre, n’est pas inférieure à mille tonnes. Elle ne soutient donc la guerre, depuis longtemps, que grâce à un réapprovisionnement continu.

Il aurait été de bonne politique, dès le début, de déclarer le coton contrebande de guerre. Ce n’a pas été fait. Les cargaisons expédiées des États-Unis, à destination directe de l’Allemagne, ont été, il est vrai, saisies, non pas confisquées, mais acquises par l’exercice d’un droit de préemption. Les importations directes en Allemagne ont été remplacées par un commerce interlope opérant le voyage continu à travers les pays neutres. Les statistiques commerciales en font foi. Au courant de mars, les importations d’Amérique en Allemagne ont été plus faibles de 29 717 tonnes en 1915 qu’en 1914 ; mais elles ont été plus fortes de 27 303 tonnes dans les pays Scandinaves la Norvège n’y entrant à peu près pour rien. Comme la Hollande passe pour s’enrichir de la guerre, dans de très fructueuses affaires, il est vraisemblable que le commerce de l’Allemagne avec le pays du coton a été plus actif en 1915 qu’en 1914.