Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scientifiques travaillent le plus, la science allemande s’est estimée au-dessus de tout.

La difficulté à juger de l’importance réelle des problèmes fait parfois attacher un grand prix à des questions purement formelles sans intérêt pour le fond. Par un simple changement de forme ou une légère modification expérimentale, on croit faire une grande découverte. Citons de ce formalisme un exemple pris dans les élémens de l’arithmétique. On sait qu’il existe des nombres incommensurables, c’est-à-dire des nombres qui ne peuvent s’exprimer par le rapport de deux nombres entiers. Le fait est connu depuis les Pythagoriciens, qui démontrèrent que le rapport entre le côté d’un carré et sa diagonale était incommensurable. Ce fut même pour eux un grand scandale, car ils professaient qu’il existe un atome de longueur, ce qui entraînait la commensurabililé du rapport de deux longueurs quelconques. A lire certains traités allemands d’arithmétique, il semblerait que personne n’ait jamais rien compris aux incommensurables avant que tel géomètre allemand contemporain ait fait une longue exposition de la question déjà traitée en ses points essentiels dans d’anciens livres d’arithmétique. Nous trouvons là un exemple de cette manie de ratiociner et de rendre obscures les choses claires, qui est une des caractéristiques du pédantisme germanique.

Avec les particularités de l’esprit allemand, que nous venons de signaler, on ne sera pas étonné de la façon dont est souvent traitée l’histoire des sciences de l’autre côté du Rhin. J’ai déjà dit que, en Allemagne, on ne rendait pas à notre grand géomètre Cauchy la justice qui lui est due ; je pourrais faire la même remarque pour les théorèmes généraux de Liouville et d’Hermite sur les fonctions doublement périodiques, que l’on rattache, sans les citer, aux travaux de Weierstrass. Dans un autre ordre d’idées, on sait que pendant longtemps la géodésie a été une science essentiellement française ; dès le XVIIe siècle, des mesures précises d’arc de méridien furent exécutées en France, et c’est chez nous que fut établi le système métrique. Des mesures géodésiques de plus en plus précises ont été faites depuis dans de nombreux pays, et cette science spéciale a pris un caractère international ; mais ce n’est pas une raison pour en oublier l’histoire, ni pour chercher à l’accaparer.

Lavoisier est pour la grande majorité des chimistes le