Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais sans pouvoir la voir, ce que j’avais espéré… Elle avait aussi porté à Laure une lettre de moi, que je croyais perdue, qui n’était que retardée, et qui était arrivée la veille. La pauvre femme est dans un état digne de pitié. Il est difficile de se figurer une position aussi critique, sur le point d’être arrêtée, cernée, bloquée par des espions, n’osant bouger, abandonnée, comme le malheur l’est toujours, — sans son mari, sans son père, au chevet d’une mourante, ses forces ont manqué à sa douleur, elle est malade aussi, et, pour comble de souffrance, un ami à elle, qui est fort lié avec le procureur du Roi, est venu la prévenir qu’on sait l’une de ses sœurs ici et qu’on la cherche pour la faire arrêter. La pauvre Laure en perdait l’esprit, car l’idée de voir une tête chère en danger, un ami de vingt ans perdu dans un moment si critique, où son mari marchait dans une voie du devoir dur et difficile, la mettait au désespoir. Heureusement, une lettre de son mari est venue lui mettre du baume dans le sang.

Revenons à l’aide de camp (M. de Franqueville) parti pour Paris. Le télégraphe ayant annoncé son départ, un aide de camp du Roi l’attendait à l’arrivée du courrier de la malle, et, sans lui donner le temps de quitter ses habits de voyage, l’a emmené aux Tuileries, où les ministres et la famille royale étaient réunis autour du Roi pour entendre la lecture des dépêches qu’il apportait. Elle a été faite à haute voix au milieu de tous. Au bout de trois ou quatre heures de colloque entre tout ce monde, on lui a permis de se retirer ; il n’avait retenu, d’entretiens si longs et si animés, que deux choses, qu’il s’empressait d’écrire à sa femme : l’une était la conviction que les jours du Prince ne seraient pas menacés et qu’au pire, il en serait quitte pour une détention ; l’autre, la persuasion de tout ce monde que la mère du Prince ignorait tout ce qui se préparait et qu’elle y est tout à fait étrangère.


Kehl, vendredi 4 novembre 1836, 3 heures.

(N° 6.) Le même ami du procureur du Roi conseillait à Laure de ne voir, ni d’écrire à aucune de ses sœurs, parce que, parmi les pièces de conviction du procès qui va commencer, il se trouvait un passeport de Sigmaringen. — Sabine revenait gonflée de toutes ces nouvelles et me suppliait en larmes de m’occuper de