Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prince est bien imprudent, bien aveugle !… Quel malheur que nous soyons venus à Strasbourg. J’en voudrais être à mille lieues. Le Prince, dans son interrogatoire, n’est-il pas allé nommer mon mari, dire qu’il n’avait de relations qu’avec lui ! Quelle inconséquence ! Mon mari qu’il n’a vu qu’une seule fois dans sa vie et auquel il se serait bien gardé de faire ou de faire faire des ouvertures sur ses extravagans projets ! Dit-on que l’on connaît quelqu’un qu’on n’a vu qu’une fois et auquel on n’a jamais écrit ! Il manque de jugement, de sens et de tact, le pauvre homme ! Est-il possible d’imaginer qu’il va faire une révolution avec M. Vaudrey et M. Parquin, travesti en général. C’est absurde, c’est fou. Le colonel Vaudrey était si peu sûr de ses soldats, qu’en étant entouré, pas un n’a tiré son sabre pour le défendre quand on l’a arrêté ; il n’y a pas eu un coup de sabre de donné, un coup de fusil de tiré, la population n’a pas fait une démonstration en faveur des insurgés. Au bout de deux heures, tout était fini et la ville dans le plus grand calme. On est dans un étonnement général. Chacun se demandait dans la rue qui était le jeune homme. On le disait fils de Lucien, fils de Jérôme, on se demandait d’où il venait, ce qu’il voulait faire. Le général a montré beaucoup de vigueur et de présence d’esprit, et ni le Prince ni le colonel n’ont fait preuve de tout cela ; c’est à hausser les épaules. On accuse la mère d’être une intrigante et de l’avoir poussé là. Moi, je ne puis le croire… Son dernier enfant ! Après t’avoir écrit quelques mots, ce matin, croyant qu’on se battait, j’ai couru chez le général… Tout était déjà fini… le Prince arrêté, le général Voirol à cheval avec des troupes, et mon mari à la citadelle. Le Prince, M. Parquin et le colonel Vaudrey à la tête de quelques centaines de soldats avaient parcouru la ville, un aigle en tête. Ils avaient fait arrêter le préfet, consigner chez lui le général Lalande et le colonel Leboul, et ils sont venus chez le général pour s’emparer de sa personne. Trois officiers d’artillerie sont parvenus à le faire sortir de l’hôtel. M. Vaudrey a couru avec le Prince, Parquin et ses troupes à la caserne du Fikmatt pour soulever le 46e de ligne, qui n’a pas bronché. C’est là qu’ils ont été cernés et arrêtés ! Le général est arrivé peu d’instans après ; il les a fait conduire en prison, a passé une revue de la garnison, et tout est rentré dans l’ordre… Tout le monde comprend notre chagrin et la fausse position d’Aimé. Il est dépêché par le