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l’optimisme est grand faiseur de miracles. » Et de ma confiance, il faut que je donne ici les raisons.

D’abord, cet optimisme, je_le sentais en moi, où il pouvait paraître endormi, et je n’avais pas le droit de mettre en doute celui des autres.

D’autre part, je rencontrais à chaque pas des réserves morales incomparables, soigneusement accumulées par de longs atavismes. Les grandes hérédités de l’âme, qui mettent des millénaires à s’établir, ne s’effacent pas en quelques années. Dans cette question, le temps est un facteur qu’on apprécie grossièrement, et très mal. On s’est étonné de l’héroïsme de nos soldats. Par quoi donc sont-ils séparés de ceux de la Révolution et de l’Empire ? Par cent vingt ans, il est vrai, long espace de temps, je le veux, mais en fait par trois ou quatre générations, c’est-à-dire par trois ou quatre circonstances, où des mutations foncières et radicales ont pu se faire dans l’âme. Nos ancêtres sont plus près de nous que nous ne le pensons d’après le nombre d’années qui nous en séparent. C’est un point qu’on ne doit pas perdre de vue.

Au mois de septembre dernier, une jeune femme en larmes se présente à notre hôpital où elle croit que son mari, blessé dans les combats de la Marne, a été évacué. « Laissez-moi réinstaller auprès de lui. Je le guérirai et lui donnerai du courage pour repartir. On l’a nommé adjudant. Je sais qu’il doit donner l’exemple. Je veux qu’il fasse son devoir. » Nous sommes étonnés de ce langage. La femme est paysanne, rien que paysanne. Mais son grand-père fut fait sergent aux chasseurs d’Orléans sur la brèche de Constantine. Les voisins l’appelaient le guerrier, parce qu’il racontait souvent ses combats.

D’ailleurs, le mal que je constatais était surtout en surface. Le dessous restait solide et bon, très relié au passé, et se révélait par une foule de signes légers, petites choses de rien, un mot, un geste, un incident, soigneusement notés. Quand M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, dut abandonner le pouvoir sous la menace du Kaiser, l’humiliation fut profondément ressentie et se traduisit, comme il arrive toujours pour les grandes humiliations de l’âme, par le silence. Il fut visible que lo sujet était douloureux et qu’on l’éloignait des conversations. Quand nous l’y ramenions, c’était toujours la même réflexion : il est malheureux de ne plus être le maître dans sa maison.