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nombreux que M. Rezanof a dû se borner à n’en signaler qu’une faible partie. Dans la gare de Neu-Strelitz, par exemple, tous les voyageurs d’un train sont forcés de descendre, pour être conduits à pied vers une caserne de dragons, à deux kilomètres de là. On leur a déclaré qu’on allait procéder sur eux à de nouvelles fouilles. « En réalité, cependant, l’on n’a fouillé que les femmes, et surtout les plus jeunes. L’opération était exécutée par trois lieutenans, au milieu des rires bruyans de leurs collègues et d’un groupe de soldats. Les cris des victimes ont fait venir le colonel du régiment ; mais ce personnage s’est abstenu de toute marque de désapprobation ; et comme des murmures indignés s’élevaient de la bouche des pères ou maris des femmes ainsi traitées, le colonel leur a enjoint de se taire, en les menaçant de les fusiller. » La femme d’un magistrat raconte que, au sortir de l’une de ces explorations, sa jeune voisine de wagon ne cessait point de pleurer en répétant : « Comment oserai-je désormais affronter le regard de mon mari ? »


Deux jeunes filles dont le porc occupe un emploi à Ekaterinoslav, — et dont l’une était une institutrice, — ont été déshabillées par ordre des gendarmes, sous les yeux de leur mère ; après quoi celle-ci, s’étant permis de protester, a dû se dévêtir elle-même. Les gendarmes prussiens ont fait emporter hors de la salle les vêtemens et le linge des trois femmes, « afin de pouvoir les examiner plus à fond. » Pendant plus d’une heure, les trois infortunées créatures ont eu à rester complètement nues dans la chambre, en notre présence ; et à tout instant, par la porte ouverte, soldats et gardiens de la prison venaient s’offrir le spectacle de leur honte. En arrivant à Copenhague, Mme B…, la mère des jeunes filles, a rédigé une plainte qu’elle a déposée à l’ambassade d’Allemagne.


VI

Trop heureuse encore cette mère, dont les « protestations » lui ont valu seulement de partager la « honte » de ses filles ! Dans la susdite « lettre ouverte » de sept voyageurs russes à l’ambassadeur de Suède, les signataires attestent que, « à Sassnitz, sous les yeux de la foule des prisonniers russes, deux d’entre ceux-ci ont été fusillés parce qu’ils avaient blâmé trop haut l’attitude scandaleuse des officiers allemands à l’égard de leurs femmes. » Dans la caserne de dragons de Neu-Strelitz, — où l’on avait pris l’habitude d’emmener, pour les