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mandés de Novorossysk à Hambourg ! Jamais, jusqu’aux derniers jours de juillet, l’équipage allemand de l’Oscar n’avait manqué à traiter les deux officiers russes avec toute la courtoisie désirable. Mais à peine, le soir du 1er août, un autre bateau allemand rencontré dans la Mer du Nord a-t-il informé cet équipage du récent décret de mobilisation, qu’aussitôt M. Nossof a vu le maître-pilote de l’Oscar s’élancer furieusement sur M. Andreief, l’assaillir par derrière, et le rouer de coups. Et comme l’ingénieur russe s’empressait d’accourir à l’aide de son camarade, d’autres membres de l’équipage allemand l’ont attaqué à son tour, avec une violence telle que le malheureux a presque aussitôt perdu connaissance. Lorsqu’il s’est réveillé de son évanouissement, il a constaté qu’on l’avait enfermé dans les water-closets, où l’on avait ignoblement souillé son visage et ses mains. Puis les hôtes de l’Oscar ont été lancés par-dessus bord, « leur qualité de Russes les exposant à avoir grand besoin d’un sérieux nettoyage. » Et leur martyre s’est poursuivi même après leur arrivée à Hambourg, avec des détails d’une cruauté trop répugnante pour que je puisse songer à les reproduire. Enfin M. Nossof est parvenu à s’évader et à regagner la Russie, grâce à sa connaissance familière de la langue allemande ; on ignore ce qu’est devenu M. Andreief, à demi assommé dès le premier soir par ses collègues de l’Oscar, et mis par eux tout à fait hors d’état de bouger.

Dans toutes les villes d’eaux, dans les nombreux sanatoria peuplés de malades russes, le même changement s’est fait sentir avec la même soudaineté presque inexplicable. Ou plutôt, cette soudaineté s’explique, au moins en partie, s’il est vrai que, pendant toute la semaine qui a précédé le 1er août, directeurs d’hôtels, d’établissemens balnéaires, et de sanatoria, médecins, autorités locales, ont expressément reçu consigne de rassurer les baigneurs russes, désireux de rentrer au plus vite chez soi, et les ont retenus quasiment de force en leur garantissant l’entière inanité de leurs craintes de guerre. Après quoi se sont produites, un peu partout, des scènes pareilles à celle que nous raconte un groupe de Russes qui se trouvaient alors pensionnaires du sanatorium dirigé par le docteur Lippell, à Friedrichsrod, en Thuringe :


Le jour de la déclaration de guerre, tous les malades russes ont été effrontément dépouillés par le directeur du sanatorium. Profitant du