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LE SENS DE LA MORT.


la phrase acerbe d’Ortègue. « Je viens de vivre des jours magnifiques. Cette entrée en Alsace a été si émouvante, et comme nos hommes l’ont senti ! On ne connaît pas les Français tant qu’on ne les a pas conduits au feu. Et il a déjà chauffé, le feu. Ça promet. Nous avons eu deux affaires, — je n’ai pas le droit de vous dire où, — mais là, sérieuses, et enlevées ! . . . Si ça continue dans la même allure, vous apprendrez bientôt que nous avons passé le Rhin. »

— « Ah ! que c’est bon de t’entendre parler ainsi ! » dit JM^^Ortègue, et, se retournant vers le Professeur : « Tu vois bien, mon ami, que tu as tort d’être pessimiste. »

— (( Vous, mon cousin, pessimiste ?... » interrogea l’officier. « Ça ne vous ressemble pas. J’aurais voulu que vous fussiez là quand j’achevais mes préparatifs à Riom. Mon ordonnance me dit : ’< On croirait que ça vous fait plaisir, mon lieutenant, « d’aller à la guerre ? — Mais oui, et toi ? — Oh ! moi, je serai « content partout, pourvu que je vous suive. Et puis, je sais que « cette fois on les aura. » Voilà nos hommes. Et nous les aurons, mon cousin. Entendez-vous : j’en suis sûr. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ? Ce ne sont pas vos idées, mais je vois ça si nettement que je ne peux pas m’en taire. Vaincue, la France périrait, et elle ne doit pas périr parce qa’elle reste le grand pays catholique. Mais oui, malgré son gouvernement, ses électeurs, ses codes, ses journaux, malgré tout. Tenez, avant de quitter Riom, nous avons eu une messe. Presque tout le régiment y assistait. La moitié a communié. Cette messe était dite par un des nôtres. Je vous affirme que cela fait une fière impression, un pantalon rouge qui passe sous les plis de l’aube. Quel miracle tout de même, mon cousin, vous qui n’y croyez pas, que cette loi des « curés sac au dos, » qui devait détruire la religion, aboutisse à cette propagande religieuse dans l’armée ! Il y a quelques jours, au moment de notre première rencontre avecl’ennemi, le commandant, qui est un grand chrétien, dit à nos hommes : « Mes enfans, que ceux qui « veulent recevoir l’absolution, se mettent à genoux. Monsieur « l’abbé va nous la donner. » Hé bien ! ils se sont tous mis à genoux. Si je vous raconte cet épisode, mon cousin, ce n’est j)as pour vous convertir. Vous savez que je ne me permets guère de vous parler de ces choses, mais vous suivrez cette guerre, et, dès maintenant, je veux vous avoir apporté mon témoignage. TOME XXMII. — 1915, 32