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renversés. C’est que la ferme est un point d’appui important et que l’on se dispute beaucoup. Des balles, comme toujours, sifflent près de nous. On finit par n’y plus faire attention.

De là, nous allons rapidement vers les tranchées de ce secteur, occupées par le ***e d’infanterie. Elles sont très différentes de celles que nous avons vues la veille, moins soignées peut-être, moins géométriquement taillées, mais mieux protégées des shrapnells et des éclats par les planches qui, sur presque toute leur longueur, les recouvrent, — si bien qu’on croit marcher dans un souterrain, — et que surmonte une épaisse couche de terre.

Pour accéder à la tranchée, nous suivons le fond d’un petit ravin, le long duquel il y a un mouvement continuel de fantassins ; à une vingtaine de mètres à peine du fond du ravin, une douzaine de cadavres allemands sont étendus dans des poses émouvantes. Si on ne les a pas encore enterrés, bien que si peu de pas les séparent du chemin fréquenté par nos soldats, c’est encore un effet des lois inexorables du défilement : tandis que les flancs du ravin où nous cheminons sont parfaitement défilés, il n’en est pas de même de ses bords, continuellement et durement battus par les balles ennemies. Il y a ainsi sur le front des milliers d’endroits où la zone dangereuse est séparée par une ligne étroite et nette de celle où l’on n’est pas exposé au feu direct de l’ennemi ; faites un pas à droite, vous êtes en sécurité ; faites un pas à gauche, vous êtes mort, car la terre, la bonne terre de France, n’est plus interposée, qui, dans un des plis de sa rude face, arrête le projectile meurtrier.

Dans ce secteur, nos tranchées sont encore plus près des tranchées ennemies que dans le secteur voisin. A la jumelle, je vois très distinctement les détails des créneaux ménagés dans le parapet ennemi. Comme il me semble voir remuer quelque chose derrière l’un d’eux, je ne peux résister, bien que je ne sois pas là pour ça, au plaisir de lui tirer un coup de fusil. Ai-je touché ? Chi lo sa ?

Deux de nos pièces se sont installées de nuit au fond du petit bois, dans la position de batterie que le colonel a reconnue. Cette position est à moins de 1 100 mètres de la tranchée allemande, ce qui permet sur elle un tir extraordinairement précis. Aussi c’est un plaisir de voir comme les jambes et les bras teutons volent en l’air à chaque décharge. Mais il est évident que la