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est de bonne foi ; que son oraison est innocente, quoiqu’elle n’en ait pas fait un usage humble et soumis, et qu’enfin elle est douce, quoique Dieu ait permis qu’elle soit tombée à vos yeux dans un étrange emportement. Je vous dirai sur elle ce que saint Paul disait à Philémon sur son esclave qui s’était enfui. Il s’est éloigné de vous, lui dit-il, pour un peu de temps, afin que vous le recouvriez pour jamais dans l’ordre de Dieu. Ces sortes de fautes et d’éloignemens préparent à un retour et une réunion que rien ne pourra altérer. Je vous conjure même, madame, de vouloir lire cette épitre de saint Paul à Philémon, qui ne contient qu’un court chapitre : elle vous donnera l’esprit de compassion et de support nécessaire en cette rencontre. Je vous supplie aussi de vouloir bien faire lire cette lettre, que j’ai l’honneur de vous écrire, à Mme de la Maisonfort, afin qu’elle y voie mes vrais sentimens, et que cette lettre fasse auprès de vous, pour sa réconciliation, ce que je n’oserais faire moi-même… »

Quelle fermeté tranquille et noble dans ces paroles ! Quelle charité aussi, envers une âme coupable, mais ingénue… Et quelle indépendance, parlant à Mme de Maintenon : « Il n’est pas question de Saint-Cyr, qui n’est rien ; il est question de Dieu, qui est tout[1]. »

Sans doute Mme de la Maisonfort fit-elle amende honorable et témoigna-t-elle de meilleurs sentimens. Sans doute aussi Mme de Maintenon était-elle disposée une fois de plus à la ménager et à l’absoudre. Il faut penser cependant que le souvenir d’un tel esclandre ne s’effaça pas si vite et refroidit leur grande amitié réciproque. Il faut penser aussi que l’approche des vœux solennels jeta la pauvre novice dans de nouveaux troubles, et qu’elle dut gravir un nouveau calvaire. Deux billets de Fénelon, de mars et avril 1694, nous attristent un peu :

« Je vous conjure, au nom de Dieu, de calmer votre esprit, et de vous ouvrir à l’évêque de Chartres, et à Mme de Maintenon, qui a encore beaucoup de bonté pour vous. »

Et ceci : « Ne craignez point de vous rapprocher cordialement de Mme de Maintenon… Il faut éviter les empressemens, les désirs de plaire, les petites flatteries, et tout ce qui peut amollir le

  1. Laissons le pauvre Phélipeaux mettre ses lunettes jaunes, et découvrir dans cette lettre l’embarras, la duplicité, les précautions tortueuses de Fénelon.