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cette âme le désir ou le goût de la vie religieuse. Rien n’autorise à croire qu’elle ait fait davantage et dépassé les limites permises, en ce domaine, de l’exhortation et de la suggestion.

Quoi qu’il en soit, écoutons l’abbé Phélipeaux, dans sa Relation sur le Quiétisme : « La Maisonfort avait de terribles répugnances pour la religion (la vie religieuse) ; elle aimait la liberté et ne pouvait souffrir aucun assujettissement ; son inquiétude naturelle lui faisait craindre les suites d’un engagement perpétuel dans un monastère ; un établissement libre dans le monde lui paraissait bien plus convenable. Elle ne dissimulait ses peines et ses répugnances ni à l’évêque de Chartres, ni à l’abbé de Fénelon, en qui elle avait toute confiance. Enfin, pressée par Mme de Maintenon de se déclarer sur sa vocation, elle consentit à se soumettre à ce qui en serait décidé par les directeurs de Saint-Cyr et par l’abbé de Fénelon… »

Écoutons aussi les Dames de Saint-Cyr dans leurs Mémoires : « Sur ces entrefaites, Mme de la Maisonfort crut se sentir de la vocation pour notre Institut, elle qui jusque-là n’avait songé qu’à se retirer quand Mme de Maintenon aurait pourvu à sa fortune. »

Y a-t-il contradiction entre ces deux témoignages ? Je n’en vois pas. La contradiction était bien plutôt dans ce pauvre cœur. Inquiétude d’un esprit que tout attire et qui ne sait ce qui l’attire davantage, regret du monde, désir ingénu de perfection, que fallait-il de plus pour que Mme de la Maisonfort eût peine à se comprendre elle-même et à savoir où elle était appelée ? Je me trompe ; il fallait quelque chose encore pour rendre ces ténèbres plus douloureuses, un tourment que nous croyons moderne : le doute. Il paraît certain que Mme de la Maisonfort l’a connu, qu’elle a essayé tour à tour de le vaincre par des raisonnemens subtils et de l’étouffer par des élans de ferveur passionnée. Et voilà comme une profondeur nouvelle dans une âme qui n’a pas fini de nous surprendre.

Elle fit ce qu’ont fait beaucoup d’autres consciences tourmentées : elle se soumit au jugement d’autrui. Mme de Maintenon réunit tout un tribunal, dont on peut dire, à sa louange, qu’elle n’aurait pu le mieux choisir. Le 11 décembre 1690, elle assembla à Saint-Cyr l’évêque de Chartres, avec l’abbé de Fénelon, l’abbé Gobelin, et les abbés Brisacier et Tiberge, supérieurs du séminaire des missions étrangères. Pendant qu’ils tenaient