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vrai, sera faite indirectement si les meuniers sont étroitement surveillés, et pour y parvenir, pour interdire l’achat du blé à un prix supérieur au maximum, il suffira de taxer la farine. On voit dès lors que le « maximum » appliqué aux grains doit être encore imposé aux farines. Dans ce cas, quel sera l’écart toléré entre le prix de la matière première et celui du produit fabriqué ? L’Etat devra taxer le profit du meunier après avoir limité celui du laboureur. Mais ce profit dépend de la perfection de l’outillage, du prix des charbons, et du cours des résidus industriels, c’est-à-dire du son et des issues. La concurrence, la liberté commerciale, l’initiative et l’habileté des minotiers règlent d’ordinaire ces questions aussi variées que délicates. Elles seront désormais tranchées par un agent de l’Etat, par un préfet, par un expert, et, en fin de compte, par un ministre. Que d’erreurs à redouter, quelles lenteurs et quelles incertitudes toutes les fois qu’il s’agira d’une résolution à prendre ou d’une injustice trop criante à réparer !

Ce n’est pas tout. Qu’on le remarque bien, le prix des blés ou des farines sera uniforme sur tout le territoire. Or les différences constatées d’ordinaire sur les marchés intérieurs indiquent et précisent les besoins ; elles marquent les directions que doivent prendre soit les grains soit les farines pour satisfaire aux exigences de la consommation. Le commerce constate ces écarts et en profite ; il achète là où les marchandises sont bon marché pour les revendre là où elles sont chères parce qu’elles deviennent plus rares.

L’uniformité des prix arbitraires réduit à zéro toutes les différences de cote ; elle supprime toutes les indications qui décelaient les besoins et en marquaient l’intensité. Bien mieux, le commerce, qui trouve sa rémunération dans une différence de cours, est désormais paralysé. Les négocians devront cesser leurs opérations ou devenir les courtiers de l’Administration, alors que les minotiers, abdiquant toute initiative, seront devenus des fonctionnaires techniques ! Courtiers et fonctionnaires exigeront une rémunération qu’ils auront méritée, mais, à cette occasion, il faudra encore taxer arbitrairement, apprécier les mérites… ou accorder des faveurs.

Au point de vue financier, le monopole des blés comporte des avances énormes dont l’Etat seul devra désormais prendre la responsabilité. Aucun commerçant, aucun meunier ne