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convaincu. Tous les grands traits qui enrichissent cette histoire m’ont paru partir de cette source. » L’écrivain n’hésite donc pas à poser ce principe comme base de tous les événemens consacrés dans l’histoire de France, « et auxquels la plume des historiens ne donnait guère que des causes étrangères et subalternes : l’ambition, l’intérêt, la jalousie des particuliers. Une cause plus noble a enfanté les révolutions qui ont affermi la monarchie française : cette cause, c’est le patriotisme. » En résumé, le nom de patrie n’est que le nom de l’idée sur laquelle l’histoire de France s’est bâtie pièce à pièce.

Ce qu’il faut aussi reconnaître, c’est qu’avant 1789, l’amour de la patrie n’est encore qu’un instinct, un sentiment, une règle morale dont l’oubli obtient trop souvent indulgence ou pardon, qu’il n’est pas encore devenu cette religion impérieuse dont les athées sont voués à l’universel mépris, et justement traités comme des criminels. Comme me l’écrivait naguère un lettré dijonnais, M. Henri Chabeuf, qui continue les nobles traditions des Bouhier et des Brosses, « l’idée de patrie fut longtemps construite en pierres sèches, la Révolution lui a donné le ciment, 1914 la fera indestructible, chaque coup du destin lui communique une solidité nouvelle. »

En 1789, la grandeur, la supériorité du tiers état fut de se dégager de la conception féodale ; il y avait intérêt, soit ; mais il y eut dans son fait une mentalité idéaliste, une prescience des temps nouveaux qu’on ne saurait méconnaître. La révolution modérée s’accomplit sur l’idée de liberté, d’égalité, d’humanité ; la révolution violente se consomme sur l’idée de la patrie libre ; toutes deux eurent la belle ivresse de l’unité française, par où elles continuent l’œuvre de la royauté, et plus tard le royaliste Berryer s’écriera, à la tribune de la Chambre des députés, qu’il remercie la Convention d’avoir sauvé l’indépendance de la France. Unité morale, unité politique, patrie constituée par l’ensemble des citoyens vivant sur le sol de France, drapeau aux trois couleurs, ce drapeau qui semble le Saint-Sacrement de la patrie, tels furent le but, les moyens, la réalisation. Et malheureusement la noblesse, une grande partie de la noblesse s’était habituée à incarner la patrie dans la personne royale : d’où le désastreux malentendu de l’émigration, qui explique dans une certaine mesure les mesures du Comité de Salut public. On peut d’ailleurs soutenir que l’émigration et la Vendée contribuent