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fournissent de très nombreux exemples d’héroïsme, de dignité, de vertus publiques et privées ; les vices d’une minorité turbulente, corrompue, voilaient les qualités du grand nombre. Comme les individus, les peuples heureux, honnêtes, n’ont guère d’histoire, celle-ci n’ayant d’yeux que pour les violens et les tapageurs. Trois pies dans un bois y mèneront toujours plus de bruit que trois cents tourterelles. Ce sont toujours les mêmes qui Se font tuer, disait un général ; on peut affirmer aussi : ce sont toujours les mêmes qui donnent le mauvais exemple. Aux contempteurs du XVIIIe siècle, il suffit de faire remarquer que la plupart des hommes qui ont accompli les miracles de la Révolution et de l’Empire étaient nés avant 1789, et que les successeurs de l’ancien régime auraient été fort empêchés s’ils n’avaient trouvé, dans l’armée, la marine, l’administration, la diplomatie, dans toutes les classes de la nation en un mot, des cadres excellens, un personnel digne d’accomplir la grande œuvre vers laquelle on les guidait. Si Voltaire a félicité Frédéric II d’avoir battu les Français à Rosbach, s’il a écrit que ceux qui n’ont rien n’ont point de patrie, si des événemens tels que les Croisades et l’éveil de la patrie française pendant la guerre de Cent ans sont restés lettre morte pour lui, le même Voltaire a dit aussi des paroles touchantes sur son pays : « C’est de ma seule patrie que j’ai appris à regarder les autres peuples d’un œil impartial… Il me semble que du pain dans sa patrie vaut encore mieux que du biscuit en pays étranger… Vous ne savez pas ce que c’est que d’être Français en pays étranger… On porte le fardeau de sa nation… La morale, la vertu et l’amour de la patrie, sont notre unique affaire… » Chevert, Plélo, Belle-Isle, Broglie, Maurice de Saxe, d’Assas sur le continent, Dupleix dans les Indes, Montcalm au Canada, Rochambeau, Lafayette, et leurs soldats aux États-Unis, nos marins, nos corsaires, ne font-ils pas bonne figure ? Sous Louis XVI et en sa présence, on lance à Cherbourg un vaisseau nommé le Patriote.

Si nous jetons un coup d’œil sur l’étranger, voici Bolingbroke qui, dans ses Lettres sur l’esprit de patriotisme, émet cette belle maxime : « Rien ne peut acquitter de ce qu’on doit à la patrie, tant qu’elle a besoin de nous ; » — la Suisse, qui demeure un petit grand peuple, parce que le cœur de chacun des siens est un foyer d’indépendance et de dignité patriotique ; — les