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je ne daignai jamais saluer ; je suis ami de ma patrie, comme bon bourgeois et citoyen de Paris… Nous voyons bien que vous êtes vous-même aux filets du roi d’Espagne, et n’en sortiez jamais que misérable et perdu. Vous avez fait comme le cheval qui, pour se défendre du cerf, lequel il sentait plus viste (rapide) et vigoureux que lui, appela l’homme à son secours ; mais l’homme lui mit un mors à la bouche, le sella et équipa, puis monta dessus avec bons éperons, et le mena à la chasse du cerf… ; et par ce moyen le rendit souple à la houssine et à l’éperon pour s’en servir à toute besogne, à la charge et à la charrue, comme le roi d’Espagne fait de vous… Enfin, nous voulons un roi pour avoir la paix ; mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles qui, s’ennuyant de leur roi paisible, élurent la cigogne qui les dévora toutes ; nous demandons un roi et chef naturel, non artificiel, un roi déjà fait et non à faire, et n’en voulons point prendre le conseil des Espagnols… Nous sommes Français, et allons avec les Français exposer notre vie et ce qui nous reste de bien pour assister notre roi, notre bon roi, noire vrai roi… »

Cette éloquence colorée alla au plus profond de l’âme nationale, redressa l’opinion égarée, couvrit de ridicule la Ligue, et prépara l’avènement de Henri IV : elle remit le bon ordre dans les esprits


D’un peuple bigarré de tant de factions.


C’est pourquoi la Ménippée n’est pas seulement un immortel réviaire de patriotisme, elle a été surtout une grande et belle action. Quelques années après, Passerat célébrait l’entrée de Henri IV à Paris :


France se va remettre en paix et en concorde ;
Pendez-vous, Espagnols, nous fournirons la corde.


Le premier président du Parlement de Paris, Achille de Harlay, était du même cru moral que les auteurs de la Ménippée, lui qui osait faire la leçon au duc de Guise, tout-puissant chef de la Ligue en 1588 : « C’est grand’pitié quand le valet chasse le maître ; au reste mon âme est à Dieu, mon cœur est au Roi, mon corps est entre les mains des méchans. » Et comme, quelques mois plus tard, la Ligue ayant déclaré le Roi déchu, Achille de Harlay refusait de reconnaître le décret de déchéance, Bussy-Leclerc vint l’arrêter en plein parlement ; ses amis lui