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grande lorsqu’on est venu à leur secours. Un guerrier qui accroît encore par ses victoires la puissance et le prestige de sa nation, c’est un héros ; mais un capitaine dont le bras parvient à retirer son pays du fond de l’abîme où il était tombé, c’est plus qu’un héros, c’est un sauveur. Or, tout le monde en conviendra, le rôle historique de Duguesclin au XIVe siècle, comme celui de Jeanne d’Arc au siècle suivant, a ce caractère. »

Désormais, de plus en plus brillante, scintille au firmament l’étoile de la patrie ; l’idée nationale ne cesse de cheminer, se développant d’âge en âge, en quelque sorte par la force de la vitesse acquise ; plus nombreux se dressent ses demeurans, ses chevaliers, faisant face à l’ennemi aux quatre points cardinaux, guidés dans leurs luttes généreuses par cette infaillible boussole, l’amour du pays : à travers les siècles, par les armes, par la diplomatie, par les lettres et les arts, tous les bons Français continuent de sculpter la statue immortelle de la Patrie, statue voilée parfois, mais qui, après le péril et l’épreuve, apparaît plus harmonieuse et mieux ciselée. Au conseil des rois, sur les champs de bataille, dans la capitale et les provinces, dans les rues et les campagnes, on entend, on rencontre, par milliers, des traits, paroles ou actes, aussi beaux, plus beaux même que ceux de l’antiquité, — ceux-ci, trop souvent, se confondent avec la légende, sont plus vraisemblables que vrais, — des traits dignes de ceux d’aujourd’hui, des traits qui montrent leurs auteurs ayant gravées au fond du cœur les fleurs de lys avec l’image de la France. Ce sont les perles de notre histoire, les fleurs du bouquet héroïque, et il n’est pas inutile de respirer quelques parfums de ce florilège.

Le chroniqueur Martin du Bellai rapporte que le connétable de Bourbon, poursuivant les Français en déroute à Biagrasso (1524), aperçut Bayard, mortellement blessé et couché au pied d’un arbre, face à l’ennemi : « J’ai grand’pitié, dit-il, de vous voir en cet état, vous qui fûtes un si valeureux chevalier. — Monsieur, aurait répondu le mourant, il n’y a point de pitié en moi, car je meurs en homme de bien ; mais j’ai pitié de vous voir servir contre votre prince et votre patrie et votre serment. »

La Noue confesse qu’il éprouvait « de l’horreur » en songeant que les hommes qu’il allait combattre « n’étaient ni Italiens, ni Espagnols, mais Français. » Après la bataille de