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bientôt soulagée, et patria statim allevata. » Dans le même sens elle répond à ses juges : « J’ai demandé à mes voix de bien aider aux Français… Il me semble que ce serait un grand bien pour la France que je lisse comme je faisais avant d’être prise. » Et le mot de patrie trouve tant d’écho dans l’âme du peuple, que moins de vingt ans après la mort de la Pucelle, l’historiographe Jean Chartier cite ce dicton : « Il est licite à un chacun et louable de combattre pour la patrie. »

Les mots de Jeanne d’Arc, ses réponses à ses juges, nous pénètrent d’admiration. « Les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire !… Chevauchez hardiment contre les Anglais ; quand ils seraient pendus aux nues, nous les aurons… » Et, dans les interrogatoires du procès : — « N’avez-vous pas sauté du haut de la tour de Beaurevoir pour vous tuer ? — Je ne voulais pas me tuer, mais aller rejoindre les miens… — Mais, étant protégée de Dieu, pourquoi ne pas attendre que Dieu vous délivrât ? — Le proverbe dit : Aide-toi, Dieu t’aidera ; j’essaierais encore d’échapper aux Anglais si j’en avais le moyen. — On vous gardera avec de bonnes chaînes. — Vous pouvez m’enchaîner, vous n’enchaînerez pas la fortune de la France. »

Siméon Luce a nettement établi que Domrémy ne relevait pas de la Lorraine proprement dite, mais du duché de Bar, alors uni à la France, que Jeanne d’Arc est plutôt Champenoise ; ce qui n’empêchera pas de continuer à prévaloir son surnom : la bonne Lorraine. Sans doute aussi, elle n’a pas été la simple pastourelle représentée par tant d’hagiographes ; son père, gentilhomme, propriétaire foncier, avait pris à bail la forteresse et le domaine seigneurial de Domrémy ; ses frères, oncles et cousins, étaient aussi Français de cœur et hommes d’armes ; elle vécut ainsi dans la vision constante des choses de la guerre. De bonne heure, apprenant à détester les férocités des chefs de bande, Brabançons, Anglais, Bourguignons, Ecorcheurs, elle comprit le silence des humbles, et, les yeux pleins de larmes, portant dans son âme les tristesses d’un peuple, entendit les Voix qui lui commandaient d’abord de bouter l’ennemi hors de toute France. Qu’importe ? Son apostolat n’en demeure pas moins admirable ; sa vie, plus belle que le plus beau roman, que la légende la plus idéale, est le chef-d’œuvre de notre histoire ; elle plane si haut, tellement au-dessus des misères