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Charlemagne, surgit une épopée nationale, composée au XIe siècle par un écrivain inconnu, qui donne la sensation d’une patrie supérieure aux petites patries, d’une patrie vraiment, intégralement française. Dans la Chanson de Roland, écrite en langue romane et traduite par M. Maurice Bouchor, la France, personne vivante, est évidemment synonyme de patrie. Comme on sait, l’œuvre a pour point de départ un fait réel, et elle inspira plus tard à Victor Hugo un des plus beaux poèmes de la Légende des siècles, à Henri de Bornier la Fille de Roland ; le sentiment de l’unité nationale apparaît clairement à travers cette chanson de geste, qui reflète en même temps les mœurs de l’époque féodale.

Roland voudrait que sa Durandal ne tombât pas aux mains des païens :


Sois aux chrétiens, toujours pour les guider,
Et donne-leur victoire ou délivrance.
Vous, Seigneur Dieu, qui daignâtes m’aider,
Ne laissez point honnir terre de France.


Et quant à cette France aimée,


…Pour elle on doit souffrir grands maux,
Tout endurer, et grands froids et grands-chauds ?
On doit y perdre et son sang et sa chair.


M. Lenient remarque justement que le poème, inférieur à l’Iliade pour la richesse d’invention, l’éclat du coloris, l’harmonie du rythme, l’emporte par la noblesse des sentimens. L’idée de la force domine dans l’Iliade, plus encore dans les Niebelungen ; le sentiment de l’honneur et du droit s’épanouit dans la Chanson de Roland, forme, avec l’amour de la patrie, un trio idéaliste, par où son héros se montre l’ancêtre légitime des personnages cornéliens. Et Ganelon lui-même, voué à l’exécration pour son forfait, témoigne en faveur de la religion du devoir, du dévouement à l’Empereur :


Païens ont tort, frère, et chrétiens ont droit.


Bourgeois et paysans deviennent les précieux collaborateurs de nos rois dans le grand œuvre patriotique ; Philippe le Cat, Ringois, Blanchard, Guillaume l’AIoue, le Grand Ferré, bien d’autres brillent parmi les héros de la libération du pays si affreusement meurtri pendant la guerre de Cent Ans. A