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la femme de l’ambassadeur extraordinaire d’Angleterre. » L’uléma se tint pour satisfait par cette réponse et ne questionna plus.


Dès le 15 janvier, j’étais de nouveau chargé d’affaires et quoiqu’on eût déclaré à la Porte que nous n’étions chargés que des affaires courantes, il était bien évident que la politique, et même dans ce qu’elle a de plus sérieux, ne manquerait pas d’entrer dans nos attributions, surtout dans les miennes, car ayant une armée sur pied de guerre, nous ne pouvions pas rester ainsi indéfiniment l’arme au bras, et devions ou démobiliser, et alors y trouver un prétexte plausible, — la réussite de la Conférence en aurait été un, — ou prendre sur nous d’exécuter les décisions de la Conférence et alors déclarer la guerre. Cette dernière alternative paraissait la plus probable, mais on devait tout tenter avant d’y arriver.

En effet, les Turcs avaient à peine refusé d’adhérer aux propositions des Puissances que de nouvelles négociations étaient déjà engagées entre elles pour tâcher de concilier leur dignité avec leur désir d’éviter la guerre. Le général Ignatieff qui, pour retourner à Pétersbourg, avait pris la voie de Vienne, se retrouva bientôt en route pour l’Europe, où il devait faire le tour des grandes Cours et obtenir leur adhésion à un protocole qui constaterait leur accord et lierait la Turquie d’une façon indirecte. Cette tentative n’eut aucun succès. Le voyage de l’ambassadeur à Londres, où il croyait pouvoir user de ses bons rapports avec Salisbury pour amener le Cabinet anglais à se plier à notre désir, a été un fiasco presque humiliant pour lui. Les journaux en avaient tant parlé que des explications ont dû être demandées à l’ambassadeur, qui était accusé de s’être rendu à Hartfield sans avoir été invité. Le fait est que, depuis ce moment, le général Ignatiefl disparut de la scène politique pour quelques mois et se retira dans ses terres de Kiew. Le comte Pierre Schouvaloff, son principal rival, resta maître de terrain et mit tout en œuvre pour empêcher la guerre, au prix même des plus grands sacrifices moraux de notre part. Et, en attendant, le sentiment national en Russie se prononçait toujours plus vivement en faveur d’une intervention active. Le contre-coup de ces deux courans se fit sentir dans les instructions et lettres que je recevais de Pétersbourg, de Moscou et d’ailleurs. Le