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des réformes et à introduire des améliorations qui retarderaient pour une nouvelle période d’années l’éclosion de la question d’Orient, et l’ouverture de la succession de l’ « homme malade. » Le prince Gortchakof et ses acolytes espéraient, de leur côté, donner d’une part satisfaction au sentiment national russe, qui s’était hautement prononcé en faveur des chrétiens, mais, en même temps, en faisant de leur cause une question européenne, enlever au parti de l’action en Russie tout prétexte pour pousser le Gouvernement à la guerre. Le général Ignatieff, au contraire, comprenait parfaitement bien que le Gouvernement ottoman céderait difficilement aux exigences qu’on allait lui poser et que la justice de nos réclamations une fois reconnue et sanctionnée par l’Europe, celle-ci ne se souciant pas de faire la guerre à la Turquie, nous serions forcément obligés de l’entreprendre pour notre compte, mais en ayant derrière nous l’appui moral de l’Europe. La Conférence devait commencer entre les seuls représentans des Puissances qui avaient des exigences à imposer à la Turquie ; elle devait ensuite devenir plénière, c’est-à-dire que les plénipotentiaires turcs devaient en faire partie pour discuter avec les représentans étrangers les demandes que ceux-ci leur auraient faites. Le Gouvernement anglais, dont l’antagonisme contre nous était d’ancienne date, délégua comme plénipotentiaire, outre son ambassadeur, un ministre de Cabinet, connu comme anti-russe, le marquis de Salisbury. La France envoya aussi un second plénipotentiaire, le comte de Chaudordy. De Vienne, on délégua, pour aider le comte Zichy, peu versé dans les procédés diplomatiques, le consul général de Bucarest, M. de Calice. C’est naturellement chez le général lgnatieff, comme doyen, que la Conférence devait se réunir, et il était évident qu’il exercerait la plus haute influence sur la marche de ses travaux. Comprenant que le succès de l’entreprise dépendrait de l’attitude du plénipotentiaire spécial de la Grande-Bretagne, le général mit toute son habileté à gagner à sa cause le marquis de Salisbury. Moitié par la flatterie, moitié par d’intelligentes et spécieuses explications techniques et par des données statistiques et autres, il sut convaincre Salisbury de la nécessité d’exiger de la Turquie plus que ne voulait sir Henry Elliot, et créer même un antagonisme entre les deux plénipotentiaires anglais, qui, appartenant à des partis politiques différens et personnellement peu sympathiques l’un à l’autre, étaient dès le