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rapport officiel sur la négociation, dont je n’avais guère eu le loisir de rendre compte durant mon séjour à Bucarest. Nous trouvâmes à Kichineff le grand-duc Nicolas, installé avec son état-major dont je devais faire partie plus tard. Je lui lus, ainsi qu’au général Népokoitchitzky, le résultat de ma négociation, et ils en parurent tous les deux fort satisfaits. Le grand-duc, avec une franchise toute militaire et la confiance qu’il avait dans la discrétion professionnelle d’un diplomate, ne fit part de ses projets.

Il m’exposa son plan de campagne, les préparatifs de passage du bas Danube pour y attirer une partie des forces turques, le vrai passage à Sistovo, le mouvement précipité vers Chipka et les Balkans, en laissant des rideaux des deux côtés pour retenir les Turcs et garder les communications, puis l’incursion au-delà des Balkans, et un coup porté au cœur de la Turquie, à Andrinople, et, comme rêve, Constantinople, que l’Empereur, en lui confiant le commandement, lui avait donné pour but de la campagne. Il regrettait qu’on perdît du temps ; il faisait des vœux pour que la Conférence n’aboutît pas et que l’on pût commencer la guerre en hiver ; notre soldat, habitué au froid, supporterait mieux les rigueurs de l’hiver que le soldat turc, et le succès lui paraissait encore plus sûr, surtout en vue de l’état de l’armée ottomane, qui n’était pas préparée. Le grand-duc avait grandement raison. Son plan était brillant ; il aurait été exécuté sans encombre si toutes les forces qui lui avaient été promises avaient été à temps mises à sa disposition, et si la diplomatie hésitante du prince Gortchakof et les craintes du comte Schouvaloff n’avaient pas donné aux Turcs dix mois pour se préparer, et à l’armée destinée à la guerre le temps de s’ennuyer dans la Capoue bessarabienne.

Dans les premiers jours de décembre, je débarquai à Constantinople, où la Conférence venait de s’ouvrir et n’avait tenu qu’une ou deux séances.

L’objet de cette Conférence était différemment envisagé par nous et par les autres Puissances. L’Europe n’avait consenti de discuter en commun la situation des Chrétiens de la Turquie d’Europe et de recommander à la Porte des mesures propres à en assurer le bien-être et la tranquillité, que dans l’espoir de nous ôter par-là tout prétexte à une intervention isolée et de forcer, par une pression morale mais pacifique, le Sultan à faire