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distingue çà et là des corps, des armes, et le tout retombe sur le sol. Assez souvent, on fait au préalable usage d’un stratagème. Exemple, ce qui se passa, l’hiver dernier, à Beaurains. Voici ce que raconte un des témoins et acteurs :

« Une galerie préparée par nos mineurs nous permit d’atteindre vers midi les ouvrages ennemis. A midi vingt, les charges sont en place.

« Il s’agit maintenant d’attirer à l’endroit qui sautera tout à l’heure le plus d’ennemis possible. Une section de zouaves, avec de grands cris, sort de sa cachette et se précipite en avant, puis soudain s’aplatit, feignant d’avoir été décimée par le feu adverse. Cette apparence de succès encourage les Allemands, qui contre-attaquent vers une heure.

« Nous les voyons s’avancer au pas, en ligne impeccable ; seul, le bruit des bottes martelant le sol durci par la gelée.

« Un coup de sifflet bref coupe l’air : une lueur rouge, un grondement, la terre qui se soulève en cinq endroits à la fois. Des masses de pierres projetées en l’air, et avec elles des corps mutilés, sanglans. Les mines ont éclaté !… Dans les cinq entonnoirs creusés par l’explosion, nos hommes s’installent à leur tour, rétablissent la tranchée, mais pour notre plus grande commodité, cette fois. »

Le but de ces opérations, les deux lignes précédentes l’indiquent. Ce n’est pas seulement de faire sauter les ennemis, mais aussi de prendre leur place et de gagner du terrain en avançant le front des tranchées. Aussitôt l’explosion faite, nos soldats sortent en hâte de leurs abris et vont se jeter dans les entonnoirs créés par les mines. Ces entonnoirs, ils vont les relier entre eux, par des cheminemens qu’ils prolongeront autant qu’ils pourront sur les côtés, et le tout deviendra une nouvelle ligne, avancée, de tranchées. C’est ce qu’en langage technique on appelle « organiser des entonnoirs. » A la Boisselle, nous avons procédé ainsi. De même au Four-de-Paris, à la Fontenelle, à Carnoy, aux Éparges, à Carency, à Ville-sur-Tourbe, au bois le Prêtre, et tant d’autres localités désormais historiques, où se feront tant de pèlerinages.

Détruire les tranchées ennemies, et en-tuer les occupans, pour s’emparer des entonnoirs et les faire servir d’abris et d’amorces de tranchées, tel est le but des mines en bien des cas. Naturellement, la nouvelle tranchée est reliée aussitôt à celle