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guerres du XVIIe siècle faisaient de la haute Allemagne un semis de cendres et de ruines ; les guerres du XVIIIe siècle ravageaient de même toute la basse Allemagne.

« Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron Thunder-ten-tronck, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces et qu’on nommait Candide… M. le baron était un des puissans seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres… » Voltaire peignait d’après nature ; il avait vu les Allemagnes après ces deux siècles de guerres, et monsieur le baron assommé, et madame la baronne coupée en morceaux, et mademoiselle Cunégonde éventrée par les soldats après avoir été violée autant que l’on peut l’être, et son frère traité précisément de semblable façon, et le château n’ayant plus gardé pierre sur pierre, ni une grange, ni un mouton, ni un arbre, ni un canard… Et c’est par-là dessus qu’avait encore passé, durant un quart de siècle (1792-1815), le tourbillon des guerres révolutionnaires et napoléoniennes.

Quand Bismarck naquit, l’Allemagne de 1815 était rassasiée de libertés germaniques. Ah ! les temps de bonne mémoire où les grands Empereurs faisaient régner partout la concorde et la paix, partout l’abondance et la joie ! Temporibus bonae recordationis Magni Caroli, pax atque concordia ubique erat, ubique abundantia et laetitia : dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, toute l’Allemagne avait commencé de répéter cette parole du vieux Nithard, et ses poètes, ses moralistes, ses théoriciens de l’histoire et du droit tournaient ses regrets vers le paradis des temps romantiques pour la consoler de l’enfer du siècle présent… Mais Napoléon était survenu, et nulle part ne pouvaient refleurir les institutions du Moyen Age, où une fois avait passé le cheval de cet Attila bienfaisant.

Ce fut donc la France de Napoléon, — comme autrefois la France de Louis XIV et, autrefois encore, la France de saint Louis et, plus haut encore, la France de Charlemagne et, plus haut encore, la Rome des Augustes, — ce fut la France de 1789 qui devint le modèle vers lequel l’Allemagne du XIXe siècle tendit son éternel désir d’imitation : notre catéchisme révolutionnaire fut adopté par les gens d’outre-Rhin ; c’est de vertus à la française que les « poètes de la délivrance » s’efforcèrent de munir leur peuple ; ils lui enseignèrent, par la bouche