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la dépouille, avaient concédé aux seigneurs, aux prélats, aux villes, aux ligues, aux particuliers, tout ce qui pouvait rester de pouvoirs unitaires, et la Bulle d’Or (1359) avait fait de l’Empire un syndicat de sept électeurs. Puis durant des générations, le Habsbourg, pour acheter le titre impérial ou agrandir ses domaines, avait trahi ses devoirs d’empereur, et cent vingt ans de guerres religieuses, de la Réforme à la paix de Westphalie (1526-1648), avaient achevé l’ouvrage : les XVIIe et XVIIIe siècles avaient connu en Allemagne un ou deux milliers de souverains, tous sujets et membres de l’Empire, mais tous indépendans ou rebelles, et plus souvent ligués contre l’Empire avec les ennemis du dehors que groupés autour de l’Empereur pour tenir tête à l’étranger.

Sur cette anarchie princière, le margrave d’Autriche, empereur de nom, renonçait à faire valoir son titre, malgré l’appui de ses royaumes et duchés forains, de sa Slavie et de sa Hongrie danubiennes, tandis qu’appuyé sur son royaume et ses duchés forains, sur ses Prusses et Poméranie de la Baltique et du Niémen, le margrave de Brandebourg rêvait, puis s’efforçait, puis commençait d’établir son hégémonie.

Douceur des libertés germaniques ! Durant six siècles, l’Allemagne en avait épuisé la coupe. D’abord, durant cent cinquante ans (1250-1400), elle avait été la proie des brigands de tout vol : alors, il n’était piton, gorge, nœud de routes, coude de fleuve, où quelque burg de pillard ne poussât ses tours « vers le libre ciel de Dieu. » Puis, à l’abri des ligues et des paix locales, à peine les villes avaient-elles joui d’un siècle et quart de travail, de commerce, de grande richesse (1400-1525), à peine l’Allemagne de la Hanse, des universités, des humanistes, des artistes et des imprimeurs avait-elle réparé les ruines du brigandage seigneurial, que voici les reîtres et les lansquenets des guerres princières, les massacres de paysans et les sacs de châteaux. Puis les bandes et les ligues religieuses et les armées autrichiennes, danoises, suédoises, polonaises, hongroises, croates, espagnoles, françaises, anglaises, prussiennes et russes, durant deux siècles et demi, de la Réforme à la Révolution (1521-1789), s’étaient donné rendez-vous et carrière sur la terre allemande : alors, de l’Oder à la Meuse et de la mer aux Alpes, il n’était ville ni bourg qui ne fût chaque été saccagé à plusieurs reprises ; la guerre de Trente Ans flambait et dépeuplait tout l’Empire ; les