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prouesses d’équilibre. Après un quart de siècle, l’Empereur de 1914, qui a cinquante-cinq années d’âge, n’est encore dans l’estime de ses peuples que le jeune homme dont on attend merveille, à qui l’on fait toujours crédit, mais de qui l’on exige enfin quelques preuves de cette universelle capacité et de cette habileté souveraine, dont, quarante années durant, Bismarck avait renouvelé chaque jour les succès…

En fin de compte, la guerre de 1914 fut l’aboutissement de cet empire féodal de Guillaume II, comme la guerre de 1810 avait été l’aboutissement de l’empire libéral de Napoléon III. Car c’est aux pures traditions de la féodalité germanique que Guillaume II s’était efforcé de revenir, par réaction contre les apparences modernistes, révolutionnaires, de l’empire bismarckien. Comme il s’efforçait de chasser de ses menus les mots et les recettes de notre Cuisinier français, Guillaume II aurait volontiers expulsé de sa politique jusqu’aux termes et jusqu’aux formules que Bismarck avait empruntés à la France des Droits de l’Homme. Bismarck, à la mode de presque tous les bâtisseurs germaniques, avait eu un modèle français devant les yeux : c’est à Napoléon Ier qu’il se fût toujours reporté, s’il n’avait pas eu à compter avec les résistances de sa matière allemande. Guillaume II, tourné vers l’inoubliable Grand-Père, a regardé vers un modèle plus allemand encore et plus lointain dans le passé : le Saint-Empire romain-germanique[1].

Entre Bismarck et l’Allemagne, une sorte de pacte était intervenu pour la fondation du nouvel Empire d’abord, pour sa maintenance et sa gérance ensuite. Ce pacte n’avait pas été volontaire de la part de l’Allemagne : Bismarck le lui avait imposé « par le fer et le feu. » Mais c’est toujours par le fer et le feu que les bienfaiteurs de l’Allemagne lui ont prouvé leur dévouement : « notre » Luther, avant « notre » Bismarck, avait prêché contre les dissidens l’évangile des exécutions sommaires, et le premier unificateur des peuplades germaniques, Charlemagne, avait donné l’exemple dans son règlement des affaires saxonnes, en livrant d’abord le pays aux atrocités du glaive et du feu, puis en abandonnant le peuple aux foudres de ses

  1. Discours de Guillaume II au landtag de Brandebourg, 26 février 1897.