Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son atelier, firent tout à coup explosion en détruisant de fond en comble cette partie de l’arsenal[1]. »

Cette catastrophe ne surprit qu’à moitié les Allemands. On sait combien les esprits étaient tournés, à cette époque, vers la magie et les choses surnaturelles. Or, Ehrenbreitstein passait depuis longtemps pour un lieu hanté, et sa « chambre d’argent, » située dans l’aile Nord du château, avait une réputation diabolique. C’est dans cette chambre qu’en 1631 travaillait à ses sortilèges le Hongrois Félix Wendrownikius, suppôt du « grand œuvre » de la transmutation des métaux. C’est là aussi que s’étaient passées des scènes mystérieuses qui précédèrent de peu la prise de possession du château par les Français, sous M. de Bussy-Lameth, le 9 juin 1632.

Dans ce milieu plus ou moins déséquilibré par les pratiques de la sorcellerie, l’explosion de l’arsenal ne donna lieu à aucune recherche. On n’entendit plus parler, d’ailleurs, de Lafleur et de ses deux aides. Avaient-ils disparu, ensevelis sous les décombres de la tour, ou bien avaient-ils pris à l’avance leurs précautions pour ne pas être victimes de l’explosion ? On ne le sut jamais.

Toujours est-il qu’à Paris on ne douta pas qu’il y avait eu dans cette explosion quelque machination destinée à aider les Français à s’emparer de la forteresse. Massauve déclarait, d’ailleurs, effrontément, qu’elle était maintenant entre les mains d’un parent de la comtesse, qui la gardait pour le Roi.

Les deux amans profitèrent donc de l’illusion dont fut alors dupe le cardinal de Richelieu lui-même, pour venir à Paris où la belle comtesse d’Isembourg fut présentée au Roi et au Cardinal et autorisée à résider en quelque lieu du royaume que cela lui conviendrait.

Toutefois, ce succès ne fut pas de longue durée.

On peut juger du scandale qu’avait produit en Allemagne cet audacieux enlèvement. Les maisons d’Isembourg et de Hohenzollern tenaient de près à tous les princes de l’Empire : le frère aîné de la comtesse, Frédéric de Hohenzollern, VIIe du nom, avait épousé Marie, fille du comte de Bergh ; un autre de ses frères, Philippe-Christophe, qui continua la descendance, à défaut de son frère aîné, s’était allié à Marie-Sidonie, fille du

  1. BULAU (r.), Personnages énigmatiques, etc. Traduit par W. Deukett. Paris, 1861. 3 vol. in-18 ; III, p. 54, d’après Rheinische antiq., p. 336 et suiv.