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côté, un écrivain que ses origines anglaises n’empêchent pas de s’affirmer le plus fervent apôtre du germanisme, M. Houston Stewart Chamberlain, estime que, les premiers, les Germains eurent l’idée d’observer la nature, tout comme si Aristote, Archimède et Bacon ne s’en étaient point, avant eux, avisés. Gervinus n’établit-il pas pour son compte, avec force argumens à l’appui, que la race germanique a donné au monde la seule littérature vraiment digne de ce nom depuis les Anciens ? Rappelons-nous l’étrange lettre que le professeur Adolf Lasson écrivait au début de la guerre : « Nous sommes, moralement et intellectuellement, hors de pair. Il en est de même de notre organisation et de nos institutions. »

La supériorité de l’Allemagne, en tout et pour tout, est d’autant moins douteuse, aux yeux des Allemands, que leurs historiens et leurs hommes de science ont bien soin d’omettre ou de diminuer les noms des savans, artistes et écrivains étrangers capables d’éclipser les gloires teutonnes. C’est ainsi que, dans son livre l’Évolution d’une science : la Chimie, Ostwald cite à peine Berthelot. Quant à Lavoisier, il réduit son rôle à rien. Il aurait simplement corrigé les idées de Stahl sur le phlogistique, alors qu’en réalité Lavoisier a édifié sa théorie de la combustion sur leur ruine. En dépit de l’évidence, c’est à Stahl que reviendrait l’honneur d’avoir « pour la première fois éclairci la relation réciproque des notions si importantes d’oxydation et de réduction ! » Pareillement, afin d’« éliminer, comme le souhaitait Schelling, tout ce qui résulte d’une coquetterie de nos pères et grands-pères avec des peuples étrangers, tous les emprunts qui ont altéré la nature intime du pur métal allemand, » les naturalistes oublient Lamarck et Darwin en faveur de Gœthe et d’Oecken. Bien mieux, M. Ernest Lavisse constatait, dès 1886, dans ses Essais sur l’Allemagne impériale, le parti pris d’enseigner aux écoliers allemands que la civilisation humaine n’a que trois représentans : la Grèce, Rome et l’Allemagne.

Non contens de prouver que tout ce qui est allemand est supérieur, les savans teutons s’attachent à démontrer que tout ce qui est supérieur est allemand. L’historien Meyer ne nous apprend-il pas que saint Boniface, l’apôtre de la Germanie, né à Kirton en Wessex, en serait parti pour aller évangéliser la Grande-Bretagne ? Pareillement, ce seraient les Allemands qui,