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christianisme, à libérer les instincts de cruauté et de rapine qui sommeillaient au fond de l’âme germanique. Métaphysique et instinct se sont, au vrai, prêté un mutuel appui pour aboutir à la barbarie inspirée d’aujourd’hui.

Toutefois, de même que deux substances chimiques ne se combinent que dans certaines conditions, il a fallu les circonstances particulièrement favorables qui se rencontrèrent en Allemagne après 1870 pour que, non contens de se libérer, ces instincts s’érigeassent en doctrine et, qui plus est, en une sorte de mysticisme pour qui la force spécifiquement allemande est la plus haute expression du divin.

La guerre franco-allemande, on ne le sait que trop, donna l’Empire à la Prusse à qui ses succès de 1864 et de 1866, du Sleswig-Holstein et d’Autriche, avaient déjà valu la prépondérance. Nation de proie, que sa situation géographique faite de pièces et de morceaux obligeait à être avant tout militaire, la Prusse infusa son caporalisme à ses voisins dès après les campagnes de Napoléon, qui avaient fait sentir à la poussière d’États, qui composaient alors l’Allemagne, la nécessité d’être unis pour être forts. Car, il ne faudrait pas s’y tromper, si les États allemands offrirent, en 1870, la couronne impériale au Roi de Prusse, ce ne fut pas seulement parce que la victoire l’imposait, mais aussi parce que, au sortir de leur rêve séculaire, la force prussienne répondait à leurs vœux secrets. Une incontestable affinité existait entre la volonté de puissance qu’elle représentait et leurs appétits profonds. De fait, la prospérité dont s’est enivrée l’Allemagne depuis quarante-quatre ans est exclusivement matérielle. Prospérité prodigieuse d’ailleurs, à condition de ne la prendre que pour ce qu’elle vaut, et dont les témoignages multipliés ne devaient pas peu contribuer à muer le culte que l’âme et la pensée germaniques ont voué à la force en adoration de la force purement allemande. C’est, aussi bien, un spectacle vertigineux de croissance matérielle que, depuis le traité de Francfort, l’Allemagne a offert au monde et à elle-même.

Un tel spectacle n’a pas manqué de tourner toutes les têtes au-delà du Rhin. Depuis le plus humble jusqu’au plus grand, leur fortune de parvenus a grisé tous les Allemands. Il en est résulté l’orgueil collectif le plus monstrueux auquel une nation ait jamais été en proie. À son tour, il a exaspéré les instincts les