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la terreur qu’il éprouve du diable et ses accès de religiosité ardente, Luther est attiré par le plaisir. « Quiconque, prononce-t-il, n’aime ni les femmes, ni le vin, ni le chant, celui-là est un sot et le sera sa vie durant. » N’oublions pas que, après avoir beaucoup médité, le savant docteur Faust, tel que sous ses traits Goethe nous représente le peuple allemand, en arrive à proclamer l’insuffisance de l’esprit et que ce qu’il revendique, en somme, ce sont les droits de la chair. N’est-ce pas Goethe encore qui, dans la taverne d’Auerbach, a tracé le truculent tableau de la bestialité germanique ? De fait, les jouissances matérielles ont toujours tenu une grande place dans la vie allemande. L’Allemagne accorde une importance exagérée à la mangeaille. Il y avait, avant la guerre, une question de la viande, qui provoqua des émeutes. Les delikatessen consistent, pour le peuple germanique, en charcuteries, et Gambrinus est, à coup sûr, l’une de ses divinités préférées, tant la bière monde la terre allemande. Comment le Teuton aurait-il pu échapper à la hantise de ce que Rabelais, — pardonnez-moi l’expression, — appelait « la gueule, » étant donné sa voracité légendaire ? M. Cunisset-Carnot en a rapporté un saisissant exemple dans le cas, vu de ses yeux, de ce soldat allemand qui mourut, en 1870, dans l’Auxois, d’avoir avalé sept livres de lard cru ! A l’autopsie, ses intestins, littéralement, éclatèrent. Dans le livre qu’il a consacré à l’occupation de Versailles durant l’année terrible, M. Délcrot nous raconte, de même, l’aventure de ces guerriers trop goulus qui, après avoir dévalisé un marchand de vins, burent les liquides colorés qui figuraient à la devanture les liqueurs de marque. L’alcoolisme est aussi un vice allemand. Pour chaque habitant en moyenne, la consommation de l’alcool s’est élevée annuellement au-delà, du Rhin à quatre litres et demi.

Mais ce n’est point de cette façon seulement que la grossièreté allemande se manifeste. Comme Fustel de Coulanges l’a démontré, il faut en rabattre de la réputation de vertu que, sur la foi de Tacite, on a faite aux anciens Germains. En réalité, ils étaient aussi corrompus que les Romains de la décadence. Et leurs descendans valent-ils mieux ? Les scandales révélés, naguère, par Maximilien Harden ne laissent subsister aucun doute. Les plus grands noms, les plus proches de la cour y furent impliqués.