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Je vois dans ces observations tout un symbole, j’y vois la levée du voile dont le passé se couvre, et que je viens de tenter de soulever moi-même.  L’étude de M. A. Albert-Petit laissait en dehors d’elle un champ historique immense, celui que forme l’histoire intellectuelle et morale de l’Alsace avant son retour à la France. Et il m’a paru que sa connaissance était indispensable pour placer dans leur vraie lumière, pour mesurer à l’aune juste, les transformations qui se sont accomplies depuis lors. Ignorer ce passé pourrait conduire à raisonner comme un naturaliste qui ferait abstraction de la nature du sujet sur lequel une greffe a été entée. Ce sujet, c’est l’âme alsacienne et pour que la greffe ait pu réussir et produire des fruits savoureux, il fallait que la nature de cette âme s’accordât avec la nature de l’âme française.

Plaçons-nous au point de vue alsacien, nous dirons que l’âme de l’Alsace n’a trouvé que dans la France le génie propre à la féconder.

Cette âme-là, elle vit toujours, elle est impérissable. La légende l’atteste autant que l’histoire. Sait-on qu’une des plus vieilles légendes populaires du pays l’évoque, à chaque an nouveau, dans ce château de Hoh-Kœnigsbourg que Guillaume ii a prétendu réédifier ? Aurait-il connu la légende ?

Là s’éveille pour une nuit la Dame blanche de l’Alsace. Elle embrasse du regard la vaste plaine du Rhin et annonce à ceux qui savent l’entendre le sort, heureux ou funeste, qui attend le pays. C’est l’ombre du passé et l’ange de l’avenir. C’est la figure légendaire de la patrie.

C’est la même qui appelait jadis le peuple à la défense de son sol et de ses libertés.

C’est la même qui a salué l’aube de la culture française et, un siècle plus tard, l’aurore révolutionnaire des temps nouveaux.

C’est la même enfin qui, dans la dernière nuit de décembre, a dû annoncer à la foule anxieuse des annexés l’heure prochaine de la délivrance, l’heure de la nouvelle et définitive union de l’âme de l’Alsace avec le génie de la France. 

Jacques Flach