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polite, comme il s’en est rencontré volontiers en Alsace, comme l’était ce préteur Obrecht que Bossuet appellera epitome omnium scientiarum et homo omnium populorum. Il a étudié à Paris, visité Londres, parcouru l’Allemagne, les Pays-Bas, peut-être l’Italie. À la science du droit il a joint une connaissance approfondie de l’histoire ; il s’est occupé de théologie, de philosophie, de médecine. Il a une aptitude et une prédilection extrême pour les langues. Outre les langues classiques, il possède le français, l’italien, l’espagnol, le flamand, partiellement l’hébreu. Et il écrit, en prose et en vers, dans la langue populaire, le dialecte alsacien, sans, souci des règles classiques, avec une liberté créatrice analogue à celle de Rabelais.

Le champ de sa satire est dès lors infini, et voyez comme il l’arpente : « Quel spectacle plus beau, nous dit son récent biographe[1], que celui de cet homme toujours en éveil, toujours disposé à payer de sa personne quand il s’agit de défendre les idées qui lui sont chères ! Pauvre, isolé, ne possédant rien que sa plume à une époque où la carrière littéraire ne rapportait ni honneurs, ni richesses, il n’hésita pas à engager la lutte contre tous les préjugés, tous les vices, tous les ridicules… Sa satire, tantôt morale et philosophique, tantôt religieuse ou politique, embrasse tous les intérêts, toutes les passions du xvie siècle, ou plus exactement de l’humanité entière. »

Il ne peut s’attaquer à tant de « puissances » qu’avec l’arme de l’humour. Il la manie avec d’autant plus de succès que son rire est naturel, jovial, au lieu d’être amer, qu’il jaillit de source et l’amuse lui-même en amusant les autres.

Si ce rire parfois devient un peu gros, songez aux mœurs allemandes, aux vices et aux travers allemands qu’elle vise[2], nullement dans un but patriotique, à coup sûr, mais par antipathie naturelle, par un sentiment juste et droit de ce qui sonne faux. Et cela ne revient-il pas à dire que, comme pour Rabelais, la largeur d’esprit est le caractère dominant de l’œuvre, qu’elle entre en conflit avec l’étroitesse des castes, des sectes, des races, et qu’elle prend corps à corps tous les despotismes ?

De même que chez la plupart des écrivains alsaciens, l’esprit de satire ne se sépare pas, chez Fischart, de l’esprit d’indépen-

  1. P. Besson, Étude sur Jean Fischart, Paris, 1889, p. 14-15.
  2. Fischart larde de traits directs les Souabes et les Bavarois.