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résultat au xviie siècle, lors d’une tentative analogue de Léopold Ier.

Strasbourg formait ainsi un monde à part, un microcosme dans le Saint-Empire romain. Elle était de plus une république des lettres en même temps qu’une république politique. Son originalité intellectuelle, et sa supériorité morale, par rapport à la Germanie, ressortent avec éclat de la lettre fameuse qu’Érasme a écrite à Wimpheling (août 1514) après un séjour enchanteur dans la libre Cité[1]. Le magistrat de Strasbourg est, à ses yeux, l’image d’une antique cité de la sapience (philosophicae civitatis). L’urbanité de la Grèce s’y allie à la discipline romaine, la culture de l’esprit à l’intégrité des mœurs. De là naît une harmonie toute platonicienne, harmonie de la constitution, harmonie dans la structure sociale : des vieillards sans morosité, des nobles sans faste, des gouvernans sans morgue, des plébéiens doués de vertus d’élite, un peuple sans populace, des savans et des lettrés groupés en cénacle littéraire (sodalitas), qui excellent dans tous les genres sans cesser d’être modestes. C’est le joyau de la Germanie, le « joyau du Rhin, » dira un jour le poète Jean Fischart.

Ce témoignage a une valeur inappréciable, émanant d’un homme tel qu’Érasme, en relation avec toute l’Europe savante, et en mesure de juger le monde de haut. Il a été ratifié un siècle plus tard par un autre savant originaire des Pays-Bas, qui, après avoir parcouru l’Europe presque entière, devint historiographe de France, et professeur au Collège royal, Pierre Bertius. « J’ai peine, dit-il, en citant Érasme, de détacher ma pensée de cette ville, la plus belle de toutes, me souvenant quelle douce existence j’y ai menée, dans l’étude, non sans gloire, de la sagesse[2]. »

La « Société littéraire » avec laquelle Érasme était entré en relation à Strasbourg et dont il a goûté l’esprit, le caractère et le talent, nous offre la fleur de l’humanisme alsacien et comme la quintessence de l’esprit alsacien. Ne retenons que les côtés qui rapprochent l’Alsace de la France.

C’est d’abord, on l’a vu, le culte de la civilisation latine et même hellénique. Il est représenté de la façon la plus parfaite

  1. Le lecteur trouvera le texte dans la grande édition de la Correspondance d’Érasme qu’a entreprise M. Allen, Opus epistolarum Erasmi, II, p. 17-24 (Oxford, 1910).
  2. Commentarii rerum Germanicarum, p. 464 (Amsterdam, 1632).