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suivaient la guerre des Balkans devaient recourir aux expédiens pour rassasier la curiosité du public. Ils décrivaient avec complaisance les traditionnelles horreurs des campagnes dévastées, des villages incendiés, des populations massacrées. Ces scènes de ruine et de carnage à l’aurore du XXe siècle choquèrent d’abord l’opinion. Le témoignage officiel d’enquêteurs étrangers en attesta bientôt l’authenticité ; mais les sensibles Occidentaux les expliquèrent en les attribuant à la barbarie naturelle des mœurs de peuples rudes et belliqueux. Les Occidentaux ne se doutaient pas de ce qui les attendait chez eux-mêmes, moins d’une année plus tard.

Cependant les expéditions coloniales, à condition de ne pas être trop lointaines, donnent encore aux correspondans de guerre l’occasion d’employer leurs facultés selon le mode ancien. L’ennemi, qu’il soit en Tripolitaine ou au Maroc, n’a pas d’agences d’espionnage bien développées ; il n’a pas de télégraphie avec ou sans fil, d’états-majors soupçonneux et discrets ; il ne lit pas les journaux étrangers. En face, des généraux se plaisent au contraire à rendre l’expédition populaire, à convaincre les contribuables de l’excellence de l’entreprise et de la valeur de l’armée. L’envoyé de presse est alors le bienvenu. On facilite sa tâche, on le traite avec égards. Il habite sous la tente près des grands chefs, il va, il vient, il se mêle aux troupes et partage parfois leurs dangers. J’en vis un qui, pendant un combat chez les Zemmour, ne lâchait pas la section de mitrailleuses, pourtant fort exposée aux coups ; armé d’un mousqueton pris à un Sénégalais blessé, il s’était couché sur la ligne de feu et tirait comme au stand. Je le complimentai sur sa bravoure et le priai de se ménager : « Bah ! répondit-il, j’en ai vu bien d’autres au Transvaal ! » En l’honneur de l’Entente cordiale et aussi d’un lieutenant-colonel anglais qui avait obtenu la permission d’assister au « baroud, » je ne le questionnai pas plus avant. Mais ses impressions de témoin et ses articles de campagne au Maroc devaient être plus vécus et plus vivans que les descriptions rétrospectives de ses confrères alors disséminés dans les Balkans.

En réalité, de tels conquistadores de la plume parviennent quelquefois à pénétrer sur les théâtres de guerre les plus fermés. Leur caractère audacieux, l’abondance et la variété de leurs ressources leur assurent l’indépendance du jugement. Ils