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REVUES ÉTRANGÈRES.

Le commandant du sous-marin se trouvait être, lui aussi, « un homme charmant, plein d’humour et de bonhomie. » Tout en ne cessant point de fumer son cigare « avec l’élégance consommée de tous ceux de sa race, » il demandait, par exemple, à son hôte suédois s’il « avait pris la précaution d’écrire son testament, » ou bien, après lui avoir signifié la possibilité d’une catastrophe soudaine qui anéantirait le bateau, lui rappelait que chacun de nous « ne saurait mourir qu’une seule fois. » Ainsi la soirée s’était écoulée en aimables propos ; et puis M. Hun Svedend était descendu dans sa cabine, pour essayer de dormir.


Le lendemain matin, tandis que je restais assis sur ma couchette, au fond de l’eau, m’amusant à considérer et à identifier les divers poissons qui défilaient tour à tour devant le petit trou rond de ma fenêtre, — tantôt une sardine, puis une baleine, puis encore un saumon, et puis une ablette, — j’entendis tout d’un coup l’ordre de tirer. Je m’empressai de monter à la cabine d’observation, sous le périscope ; j’y parvins assez tôt pour voir jaillir de notre sous-marin une torpille, lancée contre la masse imposante d’un paquebot anglais.

Une explosion effroyable suivit ; et aussitôt nous remontâmes à la surface, — afin, me disais-je sottement dans mon ignorance, d’être prêts à secourir les passagers tombés à l’eau. Mais combien j’avais méconnu l’inflexibilité de fer de la stratégie allemande ! Pour ce grand peuple que sont les Allemands, toute guerre, — et particulièrement cette guerre-ci, qu’ils s’étaient efforcés d’éviter par tous les moyens, malgré leur admirable état de préparation militaire, — est une chose trop sérieuse pour pouvoir être entravée par des restrictions mesquines, ou de vaines règles académiques. Et, certes, j’éprouvais quelque pitié pour les pauvres diables que je voyais se noyer tout près de nous : mais je songeai que, au total, c’étaient là des représentans de cette espèce des « civils » dont chacun sait le rôle scandaleux qu’elle a joué dans la guerre d’à présent. À Louvain, par exemple, est-ce qu’un seul carreau de vitre aurait été brisé, si quelques-uns de ces maudits « civils » n’avaient pas laissé voir des sentimens trop peu bienveillans à l’égard de l’Allemagne ?

Peu d’heures après la destruction du paquebot, voici que nous fut signalé un nouvel ennemi ! C’était une barque de pêche. Aussitôt toute conversation s’interrompit, une fois de plus ; et, de toute leur âme, mes compagnons se remirent à l’œuvre. Je ne crains pas de le déclarer : pour merveilleuse que soit l’activité des soldats allemands, celle de l’équipage d’un sous-marin allemand la dépasse encore. Il ne fallut pas moins que l’épuisement complet de notre provision de torpilles pour nous ramener dans le port d’Anvers.

Et l’Angleterre, d’autre part, ah ! quelle pauvre figure elle fait dans tout cela ! Impossible de rien imaginer de plus pitoyable que la résistance de sa barque de pêche et de son paquebot contre le tout petit sous-marin qui les attaquait. Et quand on pense que cette lutte a eu lieu dans ses