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C’est pour le même motif que les ravitaillemens en munitions et les déplacemens des batteries se font généralement, à proximité de la ligne du feu, par des chemins de fortune plutôt que par les routes indiquées sur la carte.

En somme, l’expérience de cette guerre a prouvé qu’il vaut mieux être non repéré et sans protection qu’abrité et repéré. C’est pourquoi on préfère aujourd’hui, pour habiller le soldat, un mince morceau de drap de couleur neutre aux cuirasses les plus étincelantes : celles-ci sont meilleures protectrices, mais mieux vues. Mais comme dans la lutte de la balle et de l’armure, de l’obus et de l’abri, du canon et de la cuirasse, c’est toujours ceux-ci qui sont finalement battus par ceux-là, étant donné la puissance et la précision des projectiles modernes, entre deux maux il a bien fallu choisir le moindre. Etre exposé sans protection au feu d’un ennemi qui ne vous a pas repéré est aujourd’hui cent fois moins dangereux que de subir sous les meilleurs abris un feu qui sait où il va. Cela est une conséquence non seulement de ce que nous avons déjà exposé, mais aussi de l’énorme étendue des fronts de combat dans cette guerre, étendue telle que la probabilité pour qu’un tir sur zone soit efficace est toujours très faible.

S’il m’est permis de considérer un instant un sujet connexe et dans lequel mon incompétence a d’ailleurs pour seules lumières celles que le simple bon sens dénué d’apriorisme doctrinal projette sur les choses, il semble que la guerre navale soit, elle aussi, devenue, et pour les mêmes raisons, une partie de cache-cache : là, comme sur terre, celui des deux adversaires qui, même moins bien armé et protégé, a sur l’autre l’avantage de connaître ses objectifs, l’emporte forcément. De là provient sans doute l’importance naguère inconcevable qu’ont prise les sous-marins ; de là provient que par eux, l’Allemagne empêche les puissans mastodontes qui lui sont opposés d’être véritablement et dans le sens complet du mot « maîtres de la mer. »

Ces considérations s’appliquent encore avec beaucoup plus de force aux places fortes et à la guerre de siège. Si quatre grandes places de guerre, Liège, Namur, Maubeuge, Anvers et un assez grand nombre de forts d’arrêt de moindre importance ont succombé en peu de jours sous les coups de l’artillerie allemande, proclamant la faillite complète de la fortification